8 avril 1856

Guernesey, 8 avril 1856, mardi après-midi, 3 h.

Je ne te demande pas ce que tu fais, mon pauvre sublime piocheur, car j’aurais plus tôt fait de te demander ce que tu ne fais pas pour le bien et l’admiration du monde entier. Mais je ne serais pas fâchée de savoir comment tu vas, c’est-à-dire comment tu m’aimes car ta santé et ton amour me sont aussi précieux et aussi nécessaires^a l’une que l’autre. Je me suis reproché hier de ne t’avoir pas allumé de feu, mon pauvre petit ver à soie, et pourtant cette économie féroce n’était au fond qu’un excès de tendresse et de sollicitude pour toi, mon pauvre fournisseur de COOK [1] et de tout, de bien autre chose et du RESTE (pour mémoire car il y a si longtemps que vous ne m’en avez fourni que je ne sais plus si cette denrée existe [2]). C’est égal ce n’est pas une raison de vous faire crever de froid sous prétexte de vous épargner quelques shillings plus ou moins britichs. Aussi je viens d’en faire allumer, du feu, vous pouvez venir sans crainte de vous morfondre au physique^b et au PSYCHOLOGIQUE^c car j’ai en moi plus de feu et de flamme qu’il n’en faudrait pour consumer l’univers. Dépêchez-vous de venir vous réchauffer corps et âme. Je vous attends sur la BRAISE et je vous aime mordicus EX IMO CORDE [3] et tout le bataclan de mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 110-111
Transcription de Chantal Brière

a) « nécessaire ».
b) « phisique ».
c) « psycologique ».