Guernesey, 13 juillet [18]64, mercredi soir, 5 h.
Cher bien-aimé, je viens de terminer l’affreuse corvée des lettres dont ma réponse à Mme Luthereau [1]. Si j’avais commencé par toi je crois que je n’aurais jamais eu le courage de troubler mon bonheur en y mêlant l’insipide bavarde à des indifférents. Enfin m’en voilà quitte pour quelque temps et je n’ai plus qu’à penser à toi, à t’aimer, à te rendre heureux si je veux et à te bénir de toute mon âme.
On ne sait si on doit se réjouir ou si on aura à déplorer l’accouchement de la pauvre Mme Marquand. J’ai le cœur plein de tendresse et de pitié pour la mère et pour l’enfant. Je les recommande toutes les deux à la bonté de Dieu qui peut tout. Je n’ai pas envoyé savoir de ses nouvelles parce que je sais que ta petite belle-sœur [2] doit y être allée et qu’elle nous dira mieux que ne le ferait une servante, comment se trouve la pauvre accouchée, ce qu’on craint ou ce qu’on espère. En attendant, je prie ardemment pour ces deux pauvres êtres, l’une à peine dans la vie, et l’autre presque déjà dans la tombe. J’espère que ton petit Toto [3] n’aura que de bonnes nouvelles à donner de sa charmante petite malade. Mon amour a besoin de voir tout le monde qui t’intéresse heureux. Tâche de venir avant l’heure, mon doux adoré, pour que j’aie le temps de te dire combien je t’aime, de regarder ton âme à travers tes yeux, de te sourire, de baiser tes cheveux, ton front et ta bouche. J’ai un besoin insatiable de toi que rien [ne] peut satisfairea que toi. Mon cœur est triste. Peut-être parce qu’il y a de la tristesse et de l’inquiétude autour de nous en ce moment. Que le bon Dieu te préserve de tout mal, mon bien-aimé, et qu’il me laisse auprès de toi tant que mon amour te paraîtra bon et doux. C’est le vœu que je lui adresse à tous les instants de ma vie en te priant de le répéter avec moi.
Juliette
BnF Mss, NAF 16385, f. 187
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette
a) « rien peut satisfaire ».