Guernesey, 3 juillet [18]64, dimanche matin, 8 h.
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour et victoire sur toute la ligne si tu as aussi bien dormi que moi cette nuit. Il y a longtemps que je n’ai fait une aussi bonne nuit, aussi je m’empresse de te la dédier dans l’espoir que tu m’en offriras une pareille en échange ce matin quand tu viendras baigner tes chers yeux que j’adore. Je viens d’envoyer [voir ?] des nouvelles de Mme E. [1] Elles [sont ?] [illis.], la nuit a été très bonne et le mieux continue. J’espère que ton petit Toto [2] sera content cette fois et qu’il pourra jouir de la promenade tantôt sans être en proie à aucun souci de ce côté-là. Pour mon compte je suis ravie du démenti que cette brave jeune fille vient de donner aux prophéties funèbres des Diafoirus [3] locaux et autres qui s’étaient trop hâtés de la tuer. Ils ne savent pas eux, ces Purgons guernesiais, qu’on y regarde à deux fois avant de mourir surtout quand on se sent aimé par ceux qu’on aime. Ce sont les deux ancres de tribord et de babord dont tu parlais hier au soir, qui enfourchent la vie et la retiennent solidement au corps. Quant à moi rien ne peut me tuer [que ton indifférence ?] [le jour où je croirais ?/ sentirais ? que] tu ne m’aimes plus, rien ne pourrait retenir mon âme qui s’en irait à la dérive dans un désespoir sans fond. Mais ce n’est pas le cas aujourd’hui, n’est-ce pas mon adoré bien-aimé ? Et mon amour, aussi bien que ma vie, peuvent s’épanouir toutes voiles dehors sans crainte de sombrer puisque tu m’aimes comme je t’aime de tout ton cœur qui est la moitié du mien.
J.
BnF Mss NAF 16385, f. 177
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette