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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 octobre [1838], vendredi 10 h. ½

Bonjour, mon cher bijou, bonjour mon adoré petit homme. J’ai le cœur à vif pour ainsi dire, tant il est impressionnable et douloureux. J’ai fait un rêve ce matin, va, je te voyais dans les bras d’une autre femme. La douleur que j’en ai ressentie a été si vive que je suis encore à présent dans un état de tristesse et de chagrin qui deviendrait du désespoir à l’instant même si la moindre partie de mon rêve était une réalité. Aussi tu penses quel besoin et quelle impatience j’ai de te voir. Tant va mon cœur à l’amour, ma pensée à toi, mon âme à ton âme qu’à la fin tout s’emplit et déborde. Si tu arrivais dans ce moment-ci je ferais des folies, je baiserais tes pieds, je pleurerais, je crierais car il me semble que le rêve de ce matin nous a séparés. Aussi, si je te revoyais dans ce moment ce serait comme une reprise de possession de mon adoré. Oh oui, tu es bien l’âme de mon âme, la vie de ma vie, car je me sentais mourir de mon corps et de mon âme dans ce hideux rêve où tu me reprenais ton amour pour le donner à une autre. Mais ce n’est qu’un rêve, n’est-ce pas ? Et tu m’aimes, tu m’aimes comme le premier jour avec les yeux et le cœur ? Rien n’y manque, n’est-ce pas mon adoré ? Oh moi, c’est plus que de l’amour, c’est l’adoration des saints pour Dieu, c’est la seconde vie, c’est tout ce qu’on désire et qu’on espère.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16336, f. 89-90
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette


26 octobre [1838], vendredi soir, 17 h. 15

On n’est pas encore venu chercher Claire, maintenant je [ne] pense pas qu’on vienne avant le dîner.
Pauvre bien-aimé adoré, je t’ai à peine vu tantôt, et cependant cela a suffia pour me rassurer un peu, et m’ôter le gros noir que j’avais dans l’âme. C’est que tu es si beau toi, et si adoré. Tu ne peux pas le savoir assez quoique tu te regardes souvent au miroir, et que je te dise mille fois par minute que tu es mon bien aimé.
Maintenant que vous allez être riche et député à la Chambre des Pairs, vous me mépriserez, et donc ne voudrez plus de moi, c’est bien sûr ? Aussi j’aime mieux que vous restiez comme vous êtes, d’abord vous n’aurez pas à faire dix volumes de vers en six mois, ensuite vous n’aurez pas à vous occuper de politique, ce qui a été et sera toujours le tombeau de tout amour. Et puisque votre nouvelle richesse ne peut pas vous donner le repos dont vos pauvres yeux ont besoin tout de suite, je ne vois pas ce que j’ai à gagner dans votre nouvelle fortune ?
J’aime donc mieux que vous restiez le pauvre amoureux de votre vieille Juju, que de devenir le plus grand député de la Chambre des Pairs.
Si je dis des bêtises, tant pis pour vous, c’est votre faute. Pourquoi que vous voulez devenir riche si ce n’est pour vous reposer, et pour aimer votre pauvre Juju qui vous adore ?

BnF, Mss, NAF 16336, f. 91-92
Transcription d’Élise Capéran assistée de Florence Naugrette

a) « suffit ».

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