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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 août 1857

Guernesey, 4 août 1857, mardi après-midi, 3 h. ¼

Je regrette que nous n’ayons pas pu couler à fond l’affaire de la propriétaire aujourd’hui, mon cher petit homme ; mais, d’un autre côté, je comprends que tu te dois à tes hôtes [1] et même à tes AUTRES et je me résigne à traîner encore un ou deux jours le souci très agaçant de savoir si je ne suis pas au pouvoir de la bête féroce appelée vulgairement PROPRIÉTAIRE. Cette préoccupationa maussade ajoutée à l’ennui de ton absence tout le reste de cette journée m’attriste jusque dans l’âme. J’ai si bien mis toute ma joie et tout mon bonheur en toi que lorsque tu me manques tout me manque. Je tâche de me faire prendre patience en pensant à demain mais cette façon de faire plusieurs moutures du même sac fait en somme un assez maigre aliment pour l’amour. Cher adoré, je t’importune de mon éternel rabâchage qui ressemble beaucoup trop à de la mendicité pour être amusant. Je devrais me contenter de ce que tu peux me donner librement et sans y être sollicité d’amour et de bonheur. Je me le dis bien souvent et cependant le besoin de t’aimer et de te voir l’emporte sur le sentiment de dignité et de délicatesse que j’ai au fond du cœur. J’en suis triste et humiliée pour mon pauvre amour qui n’a pas le courage de la situation et je te demande pardon de t’aimer avec cette rapacité.

3 h. ¾

Tu viens de me faire un adieu bien froid, mon cher petit homme, et qui ne justifie que trop mes appréhensions sur le vrai sentiment que je t’inspire. Je crains que la branche du passé rose qu’on t’a envoyée ne soit pour ton cœur le rameau enchanté qui achèvera de séparer nos deux âmes. J’en ai le pressentiment, je pourrais même dire la poignante certitude, mais je n’y peux rien. Que le coup qui doit me frapper vienne un peu plus tôt ou un peu plus tard, qu’importe si je suis déjà condamnée. L’important c’est que tu sois heureux et libre de choisir ton bonheur comme tu l’entends, mon pauvre petit homme, tant pire pour moi si je ne sais plus me faire aimer.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16378, f. 141-142
Transcription de Chantal Brière

a) « préocupation ».

Notes

[1Hugo reçoit le critique Hippolyte Lucas et sa famille.

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