26 janvier 1856

Guernesey, 26 janvier 1856, samedi après-midi, 3 h.

Cher adoré, il faut avoir l’amour chevillé dans l’âme, comme je l’ai, pour le sentir frétiller gaiement^a par cet horrible temps de givre, de pluie, de vent et de ciel gris. Sans compter votre absence qui est encore plus maussade, plus glaçante et plus attristante que tout cela. Mais telle est la force de mon amour qu’il me semble que mes pattes de mouches ont des ailes et que mes baisers s’envolent directement du bec de ma plume sur votre belle bouche. Il ne faut pas pourtant que cette puissance d’illusion vous empêche de venir le plus tôt que vous pourrez car la réalité la plus mince vaut mieux encore que l’illusion la plus épaisse. En attendant je vous trouve pas mal irrévérencieux pour mon grec et pour mon latin. Après cela il est probable que cela vient d’un lâche et hideux sentiment de jalousie. Je vous plains, je vous plains, oui, je vous plains dans l’âme ! Mais que faire à cela ? Mon érudition est comme le soleil et la République : aveugles ceux qui ne la voient pas. Sur ce, baisez-moi tout de même et demandez-moi des leçons et des RACINES, je vous en fournirai autant que vous en pourrez consommer sans m’appauvrir pour cela. Jusque là je vous adore PROH PUDOR ! et je vous baise in naturalibus depuis la^b tête, CAPUT, jusqu’aux pieds, PEDE, NON CLAUDO [1] !!!!!!!

BnF, Mss, NAF 16377, f. 28-29
Transcription de Chantal Brière
[Blewer]

a) « gaiment ».
b) Juliette écrit par erreur deux fois le déterminant.