4 novembre 1873

Paris, 4 novembre [18]73, mardi soir, 3 h. ¾

Cher bien-aimé, voici ma seconde tentative de gribouillis depuis ce matin. J’espère que ce sera la dernière car je ne sais bientôt plus où j’en ai : le bain, la blanchisseuse, la ménagère et le reste me font perdre le fil de mon discours, mais non celui de mon amour qui résiste et qui persiste à tout et malgré tout. Heureusement que voici ma journée bientôt finie, ce qui me permettra de t’aimer à mon aise et à cœur que-veux-tu. J’espère que l’accueil de M^me Charles sera un peu moins réfrigérant aujourd’hui qu’hier, autrement ce serait à faire charrier la rivière sous les arches du Pont-Neuf [1]. En attendant, j’ai joliment bien fait de renoncer moi-même au fameux éventail chinois, puisque le marchand se refuse à le vendre le prix convenu entre lui et moi. Quant à moi, je m’applaudis de la circonstance qui s’emboîte si bien avec ma raison et je suis très contente de m’être résistée^a encore une fois de plus dans ma vie. En somme, je n’y ai aucun mérite car tout ce qui n’est pas ton amour… exclusif m’est absolument indifférent. Être aimée de toi, voilà mon unique ambition, mon souci et ma fièvre de toutes les minutes. Je t’adore.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 310
Transcription de Manon Da Costa assistée de Florence Naugrette

a) « résisté ».