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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juin 1846

23 juin [1846], mardi matin, 7 h. ½

Je veux que ma première lettre soit pour toi, mon doux bien-aimé. Je veux te consacrera la première action que je fais sereinement depuis la mort de mon pauvre ange [1]. Je tâche de trouver en moi de la force et du courage et j’y parviendrai, je l’espère, à force d’amour. Je suis allée ce matin à la messe à l’heure où tu devais être à l’église toi-même [2]. J’ai bien prié, bien pleuré et bien aimé. J’en suis revenue plus calme. Il me semblait que la prière m’avait rapprochée de mon enfant et qu’elle avait rendu notre amour encore plus saint et plus sacré. Ce malheur affreux qui me frappe, bien loin de diminuer ou d’altérer mon amour, l’augmente et le purifie par la reconnaissance. Tant que quelque chose de moi survivra, je garderai pieusement le souvenir de la folle bonté que tu as montrée tout le temps de cette longue et douloureuse maladie.
Cher bien-aimé, je suis encore bien troublée. Ma pauvre tête se refuse à toute pensée qui n’est pas celle de ma pauvre fille. Je sens mon cœur qui déborde d’amour sans pouvoir te le dire avec des mots tant la douleur intercepte tout tendre épanchement. Cependant j’ai voulu t’écrire. J’ai voulu que la première action que je faisais fût pour toi sans m’inquiéter de la difficulté que j’y rencontrerais. C’est la première fois de ma vie que je t’écris dans cette espèce de paralysie de la pensée. Je ne m’en veux pas car je sens que mon cœur n’en est pas coupable. Je t’obéis en faisant des efforts pour secouer l’engourdissement douloureux dans lequel je suis. J’attends l’heure à laquelle je te verrai avec bien de l’impatience. Il me semble que les jours ne finissent pas. Ce n’est pas la première fois que je fais cette remarque loin de toi, mais cette fois c’est plus long encore. Je ne sais pas comment on reviendra d’Auteuil [3]. Voilà M. Rivière qui se charge d’aller voir ce qui se passe dans cette triste maison. Je voudrais bien être dans la mienne pour être auprès de toi, mon doux adoré. J’espère que demain rien ne s’y opposera.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 175-176
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette
[Blewer]

a) « consacréer ».

Notes

[1Claire Pradier est morte le 21 juin.

[2Evelyn Blewer, dans son édition de cette lettre (édition citée, p. 105), remarque qu’il s’agit d’un “ témoignage exceptionnel car Hugo semble avoir peu fréquenté les églises. Est-ce simple coincidence si le lendemain il met en vers des versets de Jérémie ? ”

[3L’enterrement au cimetière d’Auteuil a lieu ce jour-là.

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