4 février [1847], jeudi matin, 11 h. ¼
Tu as mille fois raison de me gronder, mon Victor bien-aimé, d’un tort qu’il n’est pas en mon pouvoir d’empêcher. La seule chose que je puisse faire c’est d’en convenir et de t’en demander pardon.
Je me prépare à aller à Lucrèce ce soir mais mon plaisir sera très ébréché par la pensée que je ne te verrai pas de la soirée. Il m’est impossible d’être bien ou heureuse là où tu n’es pas. Ce n’est pas d’aujourd’hui seulement, tu le sais, puisque cela n’a pas changé depuis quatorze ans que je suis à toi. Aussi ce soir je ne ferai pas grand fête à ma pauvre belle Lucrèce. Quant aux Tableaux vivants, je n’ai même plus le courage d’en rire depuis que je sais que tu les as vus hors de leurs cadres [1].
J’ai envoyé chez Eugénie ce matin de très bonne heure, ainsi tu n’as rien à craindre de ce côté-là. J’irai chez elle à quatre heures dans le cas où Toto serait à l’atelier [2]. Je t’attendrai chez Eugénie pendant que tu irais voir le médaillon.
Mon Dieu que c’est bête de te parler de choses qui seront accomplies quand tu en liras la description. C’est une stupide habitude que j’ai prise comme cela et qui me gêne beaucoup parce que, malgré moi, j’y reviens sans cesse. Absolument comme pour l’antipathie des épinards. Décidément le style épistolaire n’est pas mon fort. J’aime mieux faire de la rédaction Corsaire-Satan [3], c’est plus facile et plus amusant.
Jour Toto, jour mon cher petit o. Je crois que je vous aime, et vous ? Je suis bien sûre que vous n’en doutez pas, j’en ai la preuve dans votre sécurité. Mais cela ne prouve pas que vous m’aimiez, au contraire. De tout cela il résulte que je suis une pauvre Juju très mal servie par son Toto et qui n’a que trop sujet de se tourmenter et de redouter l’avenir. Si je me trompe tant mieux…….a Quel bonheur !!!!b Mais, hélas ! si je ne me trompe pas…….a pauvre, pauvre, pauvre Juju.
BnF, Mss, NAF 16365, f. 21-22
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Sept points de suspension.
b) Quatre points d’exclamation.