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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 mai 1846

25 mai [1846], lundi soir, 9 h. ½

Je ne veux pas me coucher, mon adoré bien-aimé, avant de t’avoir souhaité le bonsoir et d’avoir épanché une partie des émotions de la journée sur ce papier. Si tu savais quelle tristesse et quel serrement de cœur j’ai eu en entrant dans cet appartement abandonné et en même temps quel ravissement pieux de me retrouver dans ce temple dont tu es le dieu pour moi, tu aurais vu mieux que je ne saurais le dire tout l’amour que j’ai dans le cœur et le chagrin que j’ai d’être séparée de toi. J’espère, mon Victor adoré, car il faut toujours que j’espère ce qui peut me rapprocher de toi, que le régime et le bon Dieu aidant, ma pauvre fille sera bientôt assez forte pour être transportée à Paris, ce que les grandes chaleurs et l’exiguïté du logis rendront impérieusement nécessaire. Aussi je vais cette semaine même faire raccommodera et blanchir les toiles du matelas pour les faire refaire. Je ferai enlever les tapis et nettoyerb les carreaux et puis je ferai monter le lit de Claire dans la salle à manger en attendant. En faisant dans ma tête tous ces petits arrangements d’installation prochaine il me semble que j’y serai demain et j’oublie pour un moment que je vis à cent lieuesc de toi. Le jour où je quitterai cette maison qui ne nous appartient pas et dans laquelle je t’ai si peu vu sera un jour heureux et béni pour tout car ma fille sera guérie et moi j’irai vivre auprès de toi, avec toi, pour toi et par toi. Ô ce jour là n’arrivera jamais assez tôt. Cependant le régime fortifiant que je fais suivre à cette pauvre enfant depuis deux jours paraît ne pas lui avoir fait de mal, au contraire. La journée d’aujourd’hui s’est bien passée pendant mon absence et ce soir le médecin en est très content. Aussi je reprends mon courage à deux mains pour arriver à ce résultat tant désiré, notre retour à Paris et ne pas laisser voir à ma fille tout ce qu’il m’en coûte. De ton côté, mon Victor bien-aimé, il faut m’y aider en venant le plus que tu pourras et surtout en venant demain. Tu me rendras si heureuse que tu en oublieras l’ennui et la fatigue du chemin. Je t’ai suivi des yeux tantôt autant que mes yeux ont pu te voir et que les stupides cochers me l’ont permis. J’avais mis tout mon cœur dans mes yeux.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 87-88
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « racommoder ».
b) « nétoyer ».
c) « lieux ».

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