25 novembre 1854

Jersey, 25 novembre 1854, samedi, 4 h.

Quand je pense qu’il n’aurait tenu qu’à moi il y a cinq minutes de recevoir cette magnifique giboulée sur ma bosse de Juju en compagnie de votre démagogique et hydraulique personne, je me trouve bien ridicule de n’avoir pas su profiter de l’occasion. Elle se représentera, je l’espère, en attendant, voguez entre deux eaux puisque tel est votre goût canardois. Du reste je trouve que toutes ces piquantes plaisanteries gagneraient encore en pointu et en acération^a si, au lieu d’être écrites avec une plume de fer émoussée, elles étaient autographiées avec le bec de canne d’un parapluie jersiais. Le style c’est l’homme, dit le proverbe, quel bonheur que cette sentence grammaticale n’y comprenne pas la femme, au contraire, c’est ce qui me permet de me croire une Juju ferrée d’esprit depuis les pieds jusqu’à la tête à la façon des ânes. Ce petit accès de fatuité passé, je vous prie de prendre en considération l’humble requête que je vous renouvelle pour la dix millionième^b fois de m’amener Robert. J’ajoute à cette prière, qui mériterait d’être de ma part une sommation à court délai, celle moins intéressée de venir dîner avec moi la semaine prochaine^c. Choisissez votre jour et indiquez-moi qui vous voulez que j’invite et je me conformerai avec joie à tout ce que vous voudrez. D’ici là il tombera encore bien des averses et votre scie : veux-tu sortir m’entamera bien des fois encore mais je suis faite d’impatience et de bisque qui ne s’émeuvent pas^d pour si peu^e. Je vous attends donc de pied sec et je vous aime de cœur ferme ex imo corde.

Juju

BnF, Mss, NAF 16375, f. 400-401
Transcription de Chantal Brière

a) « accération ».
b) « millionnième ».
c) « prochaîne ».
d) Juliette écrit deux fois « pas ».
e) « peux ».