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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 23 novembre 1854, jeudi après midi, 2 h.

Tout est triste autour de moi en ce moment, mon doux adoré : le ciel gris, les arbres dépouillés, le chemin noyé d’eau et désert, la nature engourdie et comme morte, toute cette mélancolie de la saison m’entre par les yeux et arrive jusqu’à mon âme et se joint à l’ennui que me fait ton absence, ce qui m’empêche de trouver le plus petit mot pour rire aujourd’hui. Cependant j’ai besoin de ton sourire à quelque prix que ce soit ; pour le provoquer il n’est rien dont je ne sois capable, dussé-jea jeter mes syllabes par dessus les moulins et mettre ma phrase par dessus la tête. Ta joie, mon adoré, c’est mon printemps avec tout ce qui le fête et le bénit : les fleurs par leur parfum, les oiseaux dans leur amour. Aussi je veux que tu sois heureux afin de réchauffer mon âme aux rayons de ton bonheur. Bonjour, mon petit Toto, bonjour. Quand donc m’amènerez-vous Rrrrrrrrrrrrrrrrrobert ? En attendant je me trouve beaucoup plus ATTRAPÉEb sans lui. Du reste il fait un temps à ne pas le risquer sur les hauteurs du fort Régent et encore moins ailleurs. Tout ce que la prudence vous permet c’est de l’autoriser à me donner signe de vie de temps en temps pour que je puisse au besoin certifier son identité. Je ne sais pas si vous vous apercevez de tout le mal que je me donne pour être drôle et combien peu j’y réussis même en accumulant sottises sur bêtises, niaiseries sur inepties, crétinisme sur stupidité. Encore si vous pouviez me savoir gré de l’intention, mon but serait atteint. Mais j’ai grand peur de ne vous causer que le plus affreux embêtement, ce qui me décourage encore plus que cela ne m’humilie. Mais aussi c’est votre faute. Pourquoi exiger de moi des restitus dont je ne sais pas le premier mot et vouloir me forcer à faire passer mon amour par le bec de ma plume au lieu de lui laisser suivre son chemin naturel par ma bouche. Il me semble à tout prendre que des baisers valent mieux que des pataquès. Pourquoi n’est-ce plus votre avis ? Hélas ! hélas ! hélas ! pauvre Juju !

BnF, Mss, NAF 16375, f. 396-397
Transcription de Chantal Brière

a) « dussai-je »
b) « attrappée »

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