Jersey, 12 mai 1854, vendredi après-midi, 2 h.
Je me hâte de te gribouiller ma restitus, mon cher bien-aimé, pour copire dare-darea puisque je ne peux pas sortir avec toi. Pour moi il n’y a que ces deux bonheurs au monde : être avec toi côte à côte, ou me plonger cœur et âme dans ta sublime poésie. Tout le reste est plus ou moins le foin dont on bourre sa vie pour en remplir le vide matériel et physiqueb. Je t’ai espéré toute la soirée d’hier, mon cher petit homme, mais il paraît que tu n’as pas pu revenir. Tu avais sans doute aussi des citoyens, voirec même la citoyenne [illis.] qui devait aller voir ta femme, à ce qu’on m’a dit son mari. Du reste, cette soirée s’est passée comme d’habitude à lire tes archi-beaux vers et à t’admirer sur tous les tons et dans tous les sens. J’avoue que ce petit dégorgement d’admiration de temps en temps m’est nécessaire et c’est à ce point de vue-là que je désire faire des connaissances. Cependant il ne faudrait pas que ce fût aux dépensd d’un seul de nos baisers comme hier car alors le jeu n’en vaudrait pas la chandelle, comme on dit vulgairement. Tout ceci, mon bon petit homme, aboutit à un amour sans borne et sans frein, sans rime et sans raison, comme un vrai amour qu’il [est ?].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16375, f. 182-183
Transcription de Chantal Brière
a) « dar dar ».
b) « phisique ».
c) « voir ».
d) « au dépend ».