13 novembre [1846], vendredi matin, 9 h. ½
Bonjour, mon cher petit Toto, bonjour toi, m’aimes-tu ?
J’accepte. Ce que je n’accepte pas ce sont toutes vos méchancetés, toutes vos taquineries et tous vos calemboursa. Je les repousse à perpétuité, à moins que vous ne me les payiez à la pièce.
Voici la carte :
Méchanceté à la tartare…..a un déjeuner.
Taquinerie à la poulette…….b une culotte [1]
Calembourc à la tomate………d six heures d’amour.
À ces conditions j’accepte et je vous pousserai même à la consommation. Sinon, non, je refuse avec emportement et je vous ficherai des coups.
Comment va votre gorge avec tout ça ? Il n’y a pas de raison pour qu’elle guérisse si vous ne la soignez pas mieux que vous ne l’avez fait jusqu’à présent. À quelle heure t’es-tu couché cette nuit, mon pauvre adoré ? Avais-tu du feu au moins dans ta chambre ? Tu abuses de ta force, de ta santé et de ton courage qui se vengeront de toi un jour, c’est à craindre. Pauvre adoré, je voudrais tant te soigner, prévoir tous tes besoins, éloigner toutes les mauvaises chances de toi, que ce m’est un double chagrin de te savoir en proie à toutes sortes de fatigues et de privations que le dévouement, l’attention et la tendresse pourraient t’épargner. Il n’y a pas de minute où je ne pense à cela et où je ne sente mon cœur se serrer douloureusement de pitié et de regret. Tu ne peux pas savoir, toi, à quel point tu es un pauvre être dévoué, généreux, sublime et divin. Tu pousses l’abnégation jusqu’à sesd dernières limites, tu as la beauté et la bonté de Dieu. Tu es mon Victor dont je baise les pas et que j’adore à deux genoux.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 245-246
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) « calembourgs ». Cinq points de suspension.
b) Sept points de suspension.
c) « calembourg ».
d) Neuf points de suspension.
e) « ces ».
13 novembre [1846], vendredi après-midi, 1 h.
Je viens de finir de copire [2], mon cher petit homme. Maintenant je suis toute prête à continuer mon cher bonhomme Jean Tréjean [3], que j’aime tant, qui est si drôle et si amusant. Je ne serais pas fâchée non plus de renouer connaissance avec la vieille gouvernante et la vieille demoiselle et de revoir un peu la chambre aux aventures de Télémaque. Aussi vous voyez comme je me suis dépêchée pour arriver là. Il n’y a pas de danger que je flâne quand j’espère qu’il y a des bonnes choses qui m’attendent dans les coins de mon tiroir. Seulement vous, il ne faut pas prendre un féroce plaisir à me faire tirer la langue trop longtemps. C’est assez votre habitude mais je m’insurge à la fin et je suis décidée à fourrer mon nez dans tout si vous ne vous dépêchez pas de me donner à copire. Je vous ai averti, maintenant que ma curiosité retombe sur votre coloquinte [4] criminelle, vous n’aurez que ce que vous méritez et je n’aurai pas la moindre pitié de vous.
Dieu quel beau temps ! Dire que je n’ai pas la plus petite séance à mettre au soleil aujourd’hui. Quelle injustice ! À quoi servent donc les institutions nationales de mon pays ? En vérité je commence à croire que le programme de l’hôtel de ville n’était qu’une mystification sans pluie de feu de M. Ruggieri artificier du roi [5]. Une autre fois je serai moins confiante et j’exigerai des garanties de la dynastie de Juliette. En attendant, je suis volée comme dans un bois et je bisque de toutes mes forces. Taisez-vous, être que vous êtes. Je n’accepte pas et je vous prie d’essuyer vos mains où vous pourrez pourvu que ce ne soit pas après mes draps [6].
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 247-248
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette