10 novembre [1846], mardi matin, 9 h. ¼
Bonjour, mon petit Toto, bonjour mon adoré, bonjour ma joie. Comment vas-tu ce matin ? Comment va ta gorge ? Comment m’aimes-tu ? À peine ai-je les yeux ouverts que je me pose toutes ces questions auxquelles vous ne vous empressez pas de répondre, vilain homme que vous êtes. Est-ce que vous ne viendrez pas un peu plus tôt aujourd’hui ? Le temps est bien beau quoique très froid. J’aurais bien envie de marcher avec vous mais je ne l’espère pas. Je sais combien tu es occupé, mon cher petit homme, et je ne veux pas te tourmenter. Je t’aime de toutes mes forces, voilà tout. J’ai fait faire du feu dans le poêle ce matin parce que l’onglée [1] pinçait à vif. Je t’écris donc le dos au feu, le ventre à table [2] comme le bon bourgeois de la chanson, mais je ne caresse aucun tendron et voilà ce qui me défrise [3]. Si vous aviez le moindre sentiment de la saine poésie vous viendriez m’aider à mettre en scène ce joli couplet. Mais vous ne sentez rien de rien, vilain romantique, et j’en suis pour mes frais de mémoire et d’imagination.
Baisez-moi tout de même et venez de bonne heure si vous pouvez. Je vous attends avec armes et bagages, prête à tout et à bien autre chose encore et sans le secours du fulmicoton [4]. Je vous envoie une grêle de baisers, une pluie de caresses et une bombarde [5] chargée de tendresse et d’amour.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 235-236
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
10 novembre [1846], mercredi soir, 6 h.
Je n’ai pas d’autre moyen de faire quelques petites économies domestiques, mon cher adoré, que de m’absenter quelques heures de chez moi le soir. Cela coupe la soirée et me permet de ne pas allumer ma lampe et de laisser mon foyer s’éteindre. Du reste c’est très peu amusant et j’aimerais beaucoup mieux une autre distraction, sinon moins innocente, au moins plus intéressante et plus drôle. Et puis vous êtes mon petit Toto toujours plus aimé mais aussi toujours de plus en plus rare. Tout cela n’est pas très récréatif, quoi que vous en disiez. J’aime assez vos refflexions. Je crois que je mets une f de trop à ces susdites réflexions, mais qu’importe l’orthographe de la chose si ce que je dis est juste ? Hein, vous êtes légèrement collé ! Je disais donc que je vous trouvais très bon quand vous vouliez faire la police de mes dépenses non secrètes. Une autre fois je ne vous répondrai pas et je vous enverrai des notes de la rue Vivienne, du Grand Colbert [6] et autres Villes de France [7] afin d’exercer votre judicieuse critique. Taisez-vous !!!!!!!!!a
Ah ! mais c’est que je ne plaisante plus, voyez-vous. Si vous dites un mot, je lirai tout ce qu’il y a dans mon buvard. Je lirai les belles choses que vous gardez si soigneusement dans le fond de votre chapeau. Je vous ferai tout le tort possible et bien autre chose encore si vous m’exaspérez.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16364, f. 237-238
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette
a) Les neuf points d’exclamation courent jusqu’au bout de la ligne.