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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 novembre [1846], lundia matin, 9 h. ½

Bonjour mon bien-aimé, bonjour et bonheur à toi et à tous les tiens. Comment vas-tu, mon doux adoré ? Toujours travaillant, toujours préoccupéb et toujours écrivant probablement ? Tâche de n’avoir pas froid au moins et de ne pas t’oublier dans la pensée au point de faire souffrir ton cher petit corps que j’aime tant.
Cher adoré, il m’est arrivé un gros malheur ce matin : j’ai cassé un de mes fameux pots, celui que je t’avais pris. Bien volé ne profite jamais, dit le proverbe, et je commence à croire à cette sagesse des nations. Cependant il sera peut-être possible de le raccommoderc, mais c’est égal, c’est fort bête et fort maladroit et je m’en veux de n’avoir pas prévu cet accident avant sa consommation. Je suis toute grimaude ce matin. Et je sens que je ne me dériderai pas avant que tu ne m’aies pardonnée, souri et embrassée. En attendant, et dans le doux espoir que tu viendras tantôt travailler dans ma chambre, je me dépêche de faire toutes mes affaires.
Je n’ai pas de commission d’aucune espèce il me semble aujourd’hui, aussi je me suis forcée de rengainer mes socques jusqu’à nouvel ordre, quoique cela ne fasse pas du tout mon compte. Je ne demande que pluie et course à travers Paris et la banlieue pourvu que ce soit avec vous. Je ne m’en cache pas, pas plus que de vous adorer.

Juliette

MVH, α 8978
Transcription de Nicole Savy

a) « samedi ». Le 9 novembre 1846 est un lundi.
b) « préocupé ».
c) « racommoder ».


9 novembre [1846], lundi soir, 9 h. ¾

Je te remercie mon pauvre doux bien-aimé, pour ces braves gens. Je te remercie de ton inépuisable et si gracieuse obligeance. Je te remercie pour ta noble indulgence qui s’étend à tout et à tous. Je te remercie et surtout, ô surtout, je t’aime à deux genoux !
Je n’ai pas besoin de te dire que je n’ai gardé aucune rancune contre cette pauvre Eugénie. Je sens trop bien qu’elle soupire à travers toute cette acrimonie et cette mauvaise humeur. D’ailleurs je suis à trop bonne école pour n’en pas profiter : donne-lui la goutte tout de même [1]. Toujours est-il que la pauvre femme s’est en allée un peu plus calme, sinon moins malheureuse. Combien de temps cela durera-t-il ? Je n’ose le prévoir et je ne prévois pas non plus quand on pourra rendre un vrai service à M. Vilain. Enfin, il ne faut pas désespérer de la bonté de Dieu, surtout quand tu daignesa te mêler de la partie.
Je me suis trompée d’heure ce matin à ma pendule, si bien que j’étais affreusement en retard quand je me suis levée. Depuis lors j’ai eu la visite d’Eugénie compliquée de celle de M. Vilain, ce qui fait que je n’ai pas pu t’écrire plus tôt. Mais qu’importe l’heure à laquelle j’écrive puisque ma pensée ne te quitte jamais, que mes yeux te cherchent toujours et que mes lèvres brûlent en attendant ta chère petite bouche ? Il n’y a que moi de lésée dans tout ça, comme dirait la mère Triger : « je suis lésée, lésée, parfaitement lésée. »
Quand te verrai-je, mon adoré ? Tu m’as quittée bien brusquement mais en me laissant l’espoir de te voir ce soir de bonne heure : à tout à l’heure. Hélas ! si je prenais cette douce promesse à la lettre, où en seraientb mon pauvre cœur et ma patience ? Mais enfin, ce tout à l’heure ne doit pas être loin maintenant et je l’attends avec une vive impatience. Pourvu que ta gorge ne te fasse pas plus souffrir. Cher adoré, mon Toto, mon amour, ma vie, mon âme, dépêche-toi de venir, je t’en supplie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16364, f. 233-234
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen assistée de Florence Naugrette

a) « daigne ».
b) « serait ».

Notes

[1Victor Hugo s’est-il inspiré de cette formule récurrente dans le dernier vers du poème « Après la bataille » écrit en 1850 et publié dans la Première série de la Légende des siècles : « Donne-lui tout de même à boire, dit mon père » ?

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