Paris, 21 janvier 1880, mercredi matin, 10 h.
Toi aussi, mon pauvre grand bien-aimé, tu as payé la dîme à la mauvaise saison comme un simple homme qui n’aurait rien de mieux à faire qu’à cracher sur ses tisons ? Ce n’est pas seulement humiliant pour toi, c’est désolant pour tous ceux qui t’aiment et qui te croyaient invulnérable et inexpugnable dans ta santé comme dans ta gloire, ainsi que je le croyais moi-même à force de le désirer. Aujourd’hui, hélas ! ma confiance est un peu ébranlée, non dans ta gloire, qui est au-dessus de toute atteinte mauvaise, mais dans ta force de résistance contre les misères du corps humain, qui est notre partage à nous.
Cette révélation m’est particulièrement triste à moi qui me faisais une sécurité de ton inébranlable santé. Aujourd’hui je sais trop que tu peux souffrir comme tout le monde et peut-être plus que tout le monde si tu ne veux pas te soigner à temps. J’espère que tu entendras la raison et que tu ne voudras pas me tourmenter au-delà du possible en résistant aux bons soins dont tu as besoin. Je t’en supplie et je t’adore.
[Adresse]
Monsieur Victor Hugo
BnF, Mss, NAF 16401, f. 21
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin