30 juin [1847], mercredi soir, 5 h. ½
Vous vous êtes éclipsé bien vite à l’ombre de vos dix francs et des plaisanteries de mauvais goût que vous avez jeté à ma littérature. On vous en fichera des savantes comme moi pour vous en moquer. Viens-y pôlisson et surtout que tes élucubrations romantiques me tombent sous la griffe et tu verras comment je manifesterai mon opinion et je formulerai mon enthousiasme. Je t’apprendrai à manquer de respect à une gente de lettres de ma qualité. Mais surtout ce que je voudrais t’apprendre et te rapprendre, vieux pair de France que tu es, c’est à m’aimer. Tu me parais avoir oublié cet art d’agrément depuis trop longtemps et je voudrais te donner de bonnes leçons sur ce sujet. Je ne te prendrais même rien pour cela mais tu serais libre de me donner des dons de ta munificence. Ceci sans préjudice des chemises à l’envers bien entendu, que même cela dure trois jours et que c’est aujourd’hui le dernier et qu’il faut te dépêcher de m’apporter le reste si tu ne veux pas te voir impitoyablement refusé et ta générosité naturelle méconnue. Ce qui serait fort grave au moment de la cherté du pain et des variations du baromètre. Ce qui ne varie pas c’est votre éternel refrain : – Je travaille. Même en musique ce serait abrutissant mais à l’oreille nue c’est embêtant et je demande qu’on me change d’air. Aujourd’hui je trouve que vous abusez du point d’orgue pour ne pas revenir et je commence à soupçonner les dix francs de complicité avec vous pour me tromper et me mystifier indignement. Oh ! Si j’en étais sûre, bien sûre, là, de ma pensée… oh ! quels bons coups je vous donnerais et comme je dévoilerais toutes vos tentatives de corruption sur moi.
Juju
Vente, étude Thierry de Maigret, Hôtel Drouot 13 décembre 2019, Th. Bodin expert, n° 344
Transcription d’Evelyn Blewer