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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 décembre [1849], vendredi matin, 9 h. 

Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, comme je t’aime et non comme le temps qui est hideux. J’espérais que tu serais revenu hier au soir car le ciel était clair et la lune splendide, mais j’en ai été pour mon espoir déçu, comme toujours. Cependant je ne t’en veux pas, je ne te grogne pas et je ne te SOUPÇONNE pas, ce qui est un peu beau de ma part. Tu as été si bon et si convaincant hier que ma confiance a remontréa ses CORNES, comme de plus belle. Pourtant, je te conseille de ne pas t’y fier outre mesure car je sens moi-même qu’elle ne serait pas longtemps à s’effaroucher et à disparaître, peut-être pour toujours. En attendant, je crois à votre vertu et à votre fidélité, voime, voime, voime, mais ce n’est pas sans protester contre l’abus des chaumontels de tout sexeb, de tout âge et de tout rang.

2e feuille, vendredi matin, 9 h., 28 décembre

Outre le désir immodéré que j’avais de vous voir hier, je voulais vous demander un petit service à L’Événement [1], ce serait de faire passer une note sur Mlle Heimfeter [2] qui a chanté admirablement hier chez les Montferrier [3] et qui est, de plus, une très belle femme. Elle désirerait être engagée à l’Opéra ou au moins y donner quelque représentation d’essai. C’est pour l’y aider que Montferrier m’a priée de te demander d’en faire parler par L’Événement et par la Presse [4] si c’est possible. De son côté, il agira sur son journal et les autres journaux où il a quelque influence. J’ai cru pouvoir le lui promettre de ta part, d’abord parce qu’il est bien entendu entre lui et moi que ce sera toujours à charge de revanche, ensuite parce que cette dame a une voix magnifique et une tête très dramatique. Si je me suis trop avancée, c’est dans une bonne intention et j’espère que tu ne me gronderas pas. En attendant, mon cher petit bien-aimé, je vous aime de toute mon âme et plus que de toutes mes forces.

Juliette.

Harvard, HL, MS Fr 100.4
[Barnett et Pouchain]

a) « remontrée ».
b) « sexes ».


28 décembre [1849], vendredi soir 10 h. ½

Il n’est guère probable que je te voie ce soir, mon adoré, et vraiment j’en suis presque contente à cause du froid qu’il fait. Je t’aime pour t’aimer. Le bonheur vient quand il veut et comme il peut, c’est-à-dire bien rarement. Avant tout, je veux que tu aies soin de toi, que tu te portes bien, que tu sois heureux et que tu m’aimes après tout cela. Je t’écris près d’un feu mourant et que je ne veux pas ranimer parce que je vais me coucher et tâcher de dormir pour la nuit dernière et pour celle-ci. Je ne sais pas si c’est le thé, ou disposition naturelle à l’insomnie, mais je n’ai pas dormi deux heures dans toute ma nuit. J’espère être moins agitée cette fois et m’endormir comme une marmotte jusqu’à demain matin. Pour mieux m’y encourager je prolonge la soirée en t’écrivant un petit bonsoir bien cordial et bien tendre.
J’avais envoyé tantôt chez les Montferrier chercher la note relative à cette pauvre chanteuse, mais il paraît qu’il y a ajournement d’éloges et de réclames pour je ne sais quel motif qui pourrait bien venir de leur feuilletoniste musical, le sieur Adam [5], lequel vient de faire jouer, sans succès, un opéra, le Fanal, chanté par une Mlle Dameron qu’il protège, de tout quoi, J’entrevois que la pauvre femme sea sera égosilléeb hier pour rien et qu’on lui aura flouéc deux ou trois morceaux admirables en l’honneur du fameux dilettante Lacombe [6]. Cette pensée me chiffonne parce que je me regarde comme solidaire de ce nouveau chantage à domicile. Du reste, je le dirai très crûmentd à ma marquise [7] la première fois que je la verrai. En attendant, j’ai joui d’un concert à L’ŒIL, ce qui me flatte médiocrement et me donne du remords pour cette pauvre chanteuse qui a vraiment une voix admirable et, par conséquent, beaucoup [illis.] et de gargouilleurs contre elle. Bonsoir, adoré.

Juliette

Harvard

a) « ce ».
b) « égosiller ».
c) « flouer ».
d) « crûement ».

Notes

[1Journal dirigé par Charles et François-Victor Hugo, Paul Meurice et Auguste Vacquerie, et inspiré par Victor Hugo (premier numéro : 1er août 1848).

[2À identifier.

[3Victor Sarrazin, comte de Montferrier, marié à une amie de Juliette, Émilie, était le gérant du Moniteur parisien, journal bonapartiste. C’est dans l’appartement des Montferrier, 2, rue de Navarin, que Victor Hugo se cachera quelques jours en décembre 1851.

[4Journal fondé en 1836 par Émile de Girardin.

[5Le 14 décembre 1849, Le Fanal, opéra en deux actes, musique d’Adolphe Adam, est donné à l’Opéra. Mlle Dameron y incarne le rôle d’Yvonne.

[6Francis Lacombe (1818-1867), journaliste légitimiste, spécialiste d’économie politique, collabore à plusieurs journaux, dont L’Assemblée nationale qui combat les idées républicaines.

[7Mme de Montferrier

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