Jersey, 25 mars 1854, samedi soir, 5 h. ½
Si l’âme était visible aux yeux, mon cher adoré, tu verrais la mienne derrière toi en te retournant dans ce moment-ci car elle t’a suivi sans se soucier autrement de ma pauvre carcasse. Tâche de me la ramener le plus tôt possible au risque de m’interrompre dans la confection de mon restitus.
Cher petit homme, je te prierai de me donner tout à l’heure le bon sur [illis.] afin que je l’envoie à ces pauvres gens ; ce sera la meilleure manière de panser la petite blessure involontaire que j’ai faite à leur dévouement. J’avais calculé que je pouvais recevoir aujourd’hui une lettre de Julie mais il paraît qu’il y aura eu quelque retard dans l’exécution des choses qu’elle avait à faire pour moi. J’espère pourtant qu’elle se sera trouvé en mesure pour le [M. de P. ?] mais je ne serai vraiment tranquille qu’après avoir reçu sa réponse. En attendant je prends patience en songeant qu’en somme, ce n’est pas là que j’ai placé le bonheur de ma vie, tant s’en faut. Je ne sais pas pourquoi je te dis toutes ces rabâcheries à moins que ce ne soit pour me venger de la disette épistolaire à laquelle vous soumettez ma curiosité ce qui ne serait pas aussi bête que cela en a l’air au premier abord. Quoi qu’il en soit, mon pauvre Toto rougemont, je t’aime à outrance et je t’attends unguibus et rostro in naturalibus proh pudor [1] !!! Vous voyez que je pourrais lutter de latin et de poissarderie avec les sieurs Montalembert et Dupin [2]. pete non dolet [3]. Maintenant si vous ne venez pas je suis capable de vous maudire en grec, en chinois, en sanscrit et en patagonais. Méfiez-vous des giflesa prosaïques mais infinies de la faible mais rageuse Juju si vous tardez encore un peu.
BnF, Mss, NAF 16375, f. 120-121
Transcription de Chantal Brière
a) « giffles ».