9 juillet [1849], lundi matin, 6 h.
Bonjour, mon Toto, bonjour, mon amour bien aimé, bonjour. Je suis bien contente, bien heureuse ce matin puisque j’ai l’espoir de te voir une bonne partie de la journée et celui de t’entendre parler [1], ce qui n’est pas arrivé depuis tes deux discours à l’Académie [2]. Aussi je ne dors pas depuis deux heures tant j’ai hâte d’être à tantôt. Jusqu’à présent je n’ai pas la moindre peur, AU CONTRAIRE. Nous verrons si ma bravoure ira jusqu’au bout. En attendant j’ai envoyé un des billets hier pour le fils Triger ou pour sa mère comme étant mes plus voisins, en leur disant de me les renvoyer avant dix heures dans le cas où il ou elle n’en pourraita pas profiter. Si j’avais pu prévoir un si grand bonheur pour aujourd’hui, j’en aurais fait profiter une de mes jeunes filles [3] qui aurait eu le temps de manigancer cela avec sa maîtresse d’école, mais à cette distance et prise de si court il n’y a pas moyen d’y songer. À défaut d’Eugénie qui en sera très vexée j’en fais profiter la première personne venue. Voilà, mon amour, comment échappent les choses les plus désirables et les plus désirées à ceux qui peuvent les apprécier et comment elles échoient à des indifférents. Pour les uns tout est guignon, pour les autres, tout est chance. Je ne dis pas cela pour moi aujourd’hui, parce qu’à part le regret de mon second billet, je n’ai rien à désirer puisque je vais te voir et t’entendre parler et que je t’adore.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 191-192
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
a) « pourraient ».
9 juillet [1849], lundi matin, 9 h.a
Je m’épêcheb, mon amour, car je veux être à midi sonnant à la porte de l’Assemblée afin d’être bien placée. Je voudrais déjà être au grand moment, car je sens déjà l’émotion qui me gagne et qui ne fera que croître jusqu’au moment où tu descendras de la tribune. Ce matin il me semblait impossible d’éprouver une autre sensation que le bonheur de te voir, maintenant je commence à comprendre la peur. Quand je dis la peur je m’exprime mal. C’est quelque chose d’indéfini qui est plutôt l’attente d’une grande joie et d’un bonheur immense que la stupide émotion de la couardise et de la venette [4]. Enfin je suis très agitée, je vais et je viens sans savoir ce que je fais et il me semble que je n’arriverai jamais à ce moment si désiré. Mon amour béni, mon grand Victor, mon sublime bien-aimé, je baise de l’âme ton grand front plein des plus nobles et des plus généreuses pensées, tes beaux yeux doux et puissants, ta ravissante petite bouche qui a le bonheur de dire toutes les divines pensées. Enfin je me prosterne devant tout ce qu’il y a de plus beau et de plus sublime au monde, ta chère petite personne et ton grand génie.
Je ne te demande pas de penser à moi avant ton discours, mon adoré, mais après je te supplie de me donner un regard pour que mon bonheur soit complet.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16367, f. 193-194
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Guimbaud, Souchon, Blewer]
a) Deux croix de taille moyenne sont dessinées sous la date.