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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mars 1854

Jersey, 5 mars 1854, dimanche après midi, 4 h. ½

Je suis triste de ne pas te voir, mon trop bien-aimé, et très tourmentée de la pensée de ton voyage probable à Londres ; car il me paraît maintenant presque impossible que tu n’y ailles pas, et surtout, hélas ! que tu n’y ailles pas sans moi. Depuis hier au soir, je fais ce que je peux pour m’habituer à cette affreuse nécessité sans pouvoir y parvenir. Plus j’avance dans la vie et plus je suis avare de toi. Te perdre pour une minute me semble le comble du malheur, aussi juge de ce que j’éprouve de la seule supposition d’être séparée de toi pour plusieurs jours ! Et pourtant le respect de ton devoir m’empêchera d’essayer de te retenir mais je sens que je souffrirai cruellement tout le temps de ton absence. Quel soulagement et quelle joie pour moi si mes pressentiments pouvaient me tromper ! Avec quels cris de reconnaissance et de bonheur j’accueillerais cette bonne nouvelle ! Aussi je t’attends avec toutes les impatiences et toutes les anxiétés de mes craintes et de mon amour. Tâche de venir bien vite, mon adoré, et surtout, par dessus tout, tâche de ne pas faire ce voyage si tu peux t’en dispenser sans manquer à ta conscience et à ta gloire. J’ai vu l’excellent Claude Durand tantôt, il venait me prévenir qu’il dînait chez le citoyen aujourd’hui. En même temps il me priait de te dire qu’il t’amènerait dimanche le recitoyen Royer lequel a à cœur de te demander pardon pour la petite banquetterie opposée à laquelle il a coopéré. J’ai promis de faire la commission et je l’ai invité à venir demain manger les restes du Balthazar de ce soir. Voilà, mon cher adoré, les nouvelles peu dramatiques et médiocrement politiques d’aujourd’hui. Pour y ajouter un peu de piquant, j’ai cru devoir me servir du fameux mot de Girardin : vous attentez à mes jours, adressé au Citoyen Gravier [1]. Le brave Durand qui n’est pas très ferré sur ce genre de projectile le recevait en plein piffe sans s’en apercevoir et, ce n’est qu’à force d’erratum et d’explication, qu’il s’est douté que cela pouvait être drôle. Enfin il est parti emportant cette lâche contrefaçon de calemboura dans sa gueule avec ordre de le déposer dans l’écuelle du démagogue amphitryonb mais tout cela ne me console pas de ton absence présente et encore moins de celle si longue et si redoutée de l’avenir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 89-90
Transcription de Chantal Brière

a) « calembourg ».
b) « amphitrion ».

Notes

[1À élucider.

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