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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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4 septembre [1845], jeudi après-midi, 1 h. ¼

Je ne t’ai pas prié de m’écrire, mon doux bien-aimé, parce que j’espère que tu le feras si tu peux et que j’en aurai d’autant plus de bonheur que ce sera de toi-même que sera venu ce bon mouvement. Te voilà encore parti, mon cher adoré, me voici encore séparée de toi pour plus d’un long jour. Cette pensée m’attriste malgré que j’en aie. J’ai beau mettre des distractions entre cette absence et moi, je ne parviens pas à combler le vide affreux qu’elle fait dans mon âme. Mon Victor adoré, mon bien-aimé, mon Toto chéri, je t’aime plus que ma vie. Le bon Dieu sait à quel point c’est vrai. Sois prudent, mon Toto, songe que tu es responsable de ta personne adorée qui est mon bien, ce que j’ai de plus cher et de plus précieux en ce monde. Je t’attends demain. J’espère que rien ne s’opposera à ce que tu tiennes ta promesse. D’ici là, je vais faire plus d’une fois le trajet de la rue Sainte-Anastase à Villequier [1] pour voir si tu es bien près d’arriver et bien près de revenir, pour écarter de ton chemin tous les malheurs et tous les obstacles, pour te baiser, pour t’adorer et pour te bénir. De ton côté, mon Victor, que ta pensée vienne au-devant de la mienne pour lui épargner l’ennui de faire le chemin toute seule. Cher adoré, tu laisses mon corps ici, mais tu emportes avec toi ma pensée et mon âme toute entière. Aies-en bien soin, tâche qu’elles ne souffrent pas trop en route et rapporte-les-moia le plus tôt possible. En attendant, je t’aime, je t’adore, je te baise, tu es mon Victor adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 232-233
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « rapportent-les-moi ».


4 septembre [1845], jeudi soir, 7 h.

Je trouve ta lettre désirée et attendue [2] en rentrant, mon adoré bien-aimé. Te dire dans quels sentiments d’adoration, de reconnaissance et d’amour je l’ai lue serait impossible, mon Victor chéri, à moins d’avoir ta sublime éloquence. Là où tu dirais des choses admirables, je mets des baisers et de l’amour, c’est la seule manière que j’aie de m’exprimer et de remplir les lacunes qui sont dans mon pauvre esprit. Quelle ravissante lettre, mon bien-aimé, elle me brûle, elle m’éblouit, elle me transporte au ciel. Le bon Dieu lui-même ne pourrait pas dire des paroles plus tendres, plus généreuses, plus ineffables et plus divines que celles que tu m’as écrites dans ta chère petite lettre adorée. C’est ce que je dis chaque fois que tu m’écris parce qu’il me semble que tu te [surpasses  ?] toujours dans les expressions d’amour et de tendresses que tu me donnes. C’est la même illusion qui fait que je crois toujours t’aimer de plus en plus à toutes les minutes de ma vie depuis le premier moment où je t’ai donné mon amour et mon âme. Merci, mon Victor adoré, d’avoir pensé à m’écrire. Ce n’est pas ça que je veux dire. Je veux dire que tu es adorablement bon d’avoir trouvé le temps de m’écrire une toute petite lettre et que j’ai été bien heureuse de la trouver en rentrant chez moi. Je suis venue la lire entre les deux fenêtres du salon pour pouvoir la baiser à chaque lettre de chaque mot, puis après l’avoir lue, je l’ai relue et rebaisée et puis je l’ai mise sur mon cœur pour venir t’écrire tout de suite et te dire que tu es mon Victor adoré, le plus grand et le plus aimé des hommes, mon Victor vénéré, admiré et adoré dont je baise les petits pieds en signe de respect et d’amour. Je t’attends demain soir en t’aimant de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 234-235
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


4 septembre [1845], jeudi soir, 8 h. ½

J’ai répondu tout de suite à ton adorable lettre, mon Victor bien aimé, sans songer seulement à te dire un mot sur ma démarche auprès de Mme Marre. C’est qu’en effet, tout s’efface devant ta pensée et ce n’est qu’avec des efforts sur moi-même que je parviens à me rappeler ce qui se passe autour de moi. Je te dirai donc que Mme Marre m’a refusée tout net quoiqu’avec politesse dans le premier moment. Cela m’a contrariée mais en y réfléchissant, j’aime mieux cela parce que cela me met tout à mon aise pour exiger les quinze jours de vacances qu’elle doit à ma fille. Tandis que si elle avait eu la bonne grâce de la laisser venir un jour, je me serais cru obligée de lui laisser ma fille huit jours de plus. C’est ce que j’ai fait comprendre à Claire qui n’était rien moins que contente. Cette chère enfant avait été à la messe ce matin à notre intention. Elle m’a parlé de toi avec une reconnaissance, un respect et une tendresse sincères. Pour adoucir l’amertume du refus de Mme Marre, je l’ai menée promener au bois avec Charlotte et puis trois petites mioches de 4, de [illis.] et de 7 ans, dont [illis.] quoi ça fait. Je leur ai payé des sucres d’orge, des gaufresa, de la tisaneb et des pavés pour la somme énorme de 16 sous  !!! Te dire la joie, la stupéfaction, l’extase, l’admiration et le ravissement de ces enfants est chose impossible. Je suis sûre qu’elles me prennent pour la reine Amélie ou la fée [illis.] et qu’elles rêveront de moi cette nuit. Elles ne voulaient pas croire qu’il était l’heure de revenir à la pension et c’est en faisant de gros soupirs qu’elles en ont fait le chemin. Ces pauvres petits enfants, je leur ai donné un moment de joie en pensant à toi et en priant Dieu d’ôter de ton cœur toute tristesse et toute amertume. Et puis je suis revenue en omnibus. Je suis passée par la place Royale pour voir tes fenêtres. Déjà j’y étais passéec en allant dans l’espoir de te voir. Les fenêtres étaient fermées et il y avait une tapissière devant la porte ouverte. J’en ai baisé le seuil des yeux et de l’âme. Je te baise maintenant en te souhaitant le bonsoir [plusieurs mots illisibles].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 236-237
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « des gauffres ».
b) « de la tisanne ».
c) « j’y étais passé ».

Notes

[1Victor Hugo a dit à Juliette être allé à Villequier le jeudi 4. Il est revenu le vendredi 5 septembre au soir. À sa femme, il écrit qu’il est resté à Paris. En a-t-il profité pour rendre visite à Léonie Biard ?

[2Victor Hugo a écrit à Juliette Drouet ce jeudi 4 septembre 1845 : « 2 h. moins ¼ / Je n’ai que le temps d’écrire un mot, mais ce mot, je veux que tu l’aies ce soir. C’est mon bonsoir qui t’arrivera. C’est un baiser, c’est l’amour que je t’envoie. / J’espère qu’au moment où tu liras ceci, tu auras eu quelques douces heures avec ta Claire. Pense à moi, songe que j’ai l’âme pleine de bonheur près de toi et que, lorsque tu es là, la tristesse même est douce. / Mon pauvre ange béni, que toutes les grâces du ciel descendent sur ta tête comme toutes les vertus de l’amour sont descendues dans ton cœur ! C’est du fond de l’âme que je remercie Dieu de t’avoir donnée à moi. Je t’aime, vois-tu, j’ai les yeux pleins de ta lumière comme le cœur plein de ta pensée. Ton beau et doux visage m’échauffe et m’illumine à la fois. Je t’aime. Tu es mon pauvre ange dont je baise les ailes et les pieds. » (édition de Jean Gaudon, p. 146).

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