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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er juin 1845

1er juin [1845], dimanche matin, 11 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour, mon cher amour adoré, bonjour, le plus aimable et le plus charmant des hommes. Laissez-vous embrasser par la plus maussade et la plus grognon des femmes. Vraiment, mon Victor, quand je compare mon caractère au tien, je suis tentée d’aller me cacher dans un trou. À quoi tient cette différence ? Il est impossible de t’aimer autant que je t’aime et cependant, je suis maussade, grognon et désagréable au dernier point. Cela tient, je crois, à ce que je souffre toujours horriblement de la tête. Depuis hier, j’en souffre à croire que j’en deviendrai folle. Dans ce moment, la douleur est si vive qu’elle pèse sur mon cœur et y refoule toutes les tendresse, tous les épanouissements d’amour et d’adoration qui voudraient en sortir. Si tu pouvais voir ce que je souffre, mon Victor bien-aimé et bien charmant, tu comprendrais ce qu’il faut de courage et d’amour pour être même aussi désagréable que je le suis. Malheureusement, il n’y a que moi dans le secret de mes souffrances et de mon amour et je crains à la longue que tu ne finissesa pas me haïr autant que je t’aime. Ce serait pourtant bien injuste et bien cruel et cependant je ne pourrais pas t’en vouloir, car ce serait par ma faute, en apparence du moins. J’ai rêvé de toi toute la nuit, mon Victor adoré. J’ai rêvé que tu ne me quittais pas... Hélas ! ce n’était qu’un rêve, mais il était charmant. Si tu viens tout à l’heure, comme je l’espère et comme je le désire, je tâcherai d’être très AIMABLE. Si on peut faire L’IMPOSSIBLE, je le ferai. Mais à coup sûr, je t’aimerai de toutes mes forces.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 245-246
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu finisse ».


1er juin [1845], dimanche après-midi, 4 h. ¾

Tu ne viens pas, mon adoré, et j’ai le chagrin de penser que ma maussade migraine y est pour quelque chose. Si tu savais, mon Victor adoré, comme je t’aime d’un amour pur et passionné, tu me pardonnerais et tu m’aimerais de toute ton âme en dépit du peu d’attrait de ma personne et de mon caractère. J’attends Mlle Féau et sa sœur. Ces deux dames n’ayant pas pu venir le jour de ma fête ont choisi ce jour-ci pour venir dîner avec moi. Je suis dans une disposition d’esprit qui me fait envisager presque comme un supplice la visite de ces deux femmes. Cependant elles sont excellentes mais je les trouve un peu bien bêtes, dans un tout autre genre que moi. Enfin je ferais bonne mine à mauvais jeu si le Toto et le mal de tête le permettent. Si tu ne viens pas, mon adoré bien-aimé, et si tu n’as pas l’air de m’aimer un peu, il me sera impossible de n’être pas la plus triste et la plus souffrante des femmes.
J’ai écrit à ma grande fille tantôt pour lui donner du courage et de la confiance. Je lui ai dit que tu avais écrit de nouveau à Varin hier. Je veux qu’elle sache au moment même tout ce que tu fais pour elle et pour moi. Je veux qu’elle t’aime comme le meilleur, le plus doux, le plus généreux et le plus grand des hommes, comme tu dois être aimé enfin par tous ceux qui t’approchent. Je voudrais être plus vieille (vœu imprudent) de quatre jours pour savoir si cette pauvre enfant a réussi [1]. En attendant, je t’attends, je t’aime et je souffre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 247-248
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Claire est convoquée le 5 juin pour passer l’examen pour devenir institutrice, mais elle arrive en retard et ne peut se présenter à cette session. Elle est de nouveau convoquée le 12 juin où elle échoue.

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