Guernesey, 12 mars 1860, lundi matin, 7 h. ½
Bonjour, mon cher petit homme, bonjour, je t’aime, et vous ? Comment as-tu passé la nuit, mon bien-aimé ? Moi j’ai à peine dormi quoique ne souffrant pas. J’espère que tu auras bien dormi et que tu te portes bien ce matin. J’ai été intriguée hier par la lumière que je voyais aller et venir de la serre au salon bleu et réciproquement ; cela a duré assez longtemps et je craignais qu’il ne fût arrivé quelque dégât dans cette partie de ton PALAIS. Cependant comme je t’ai vu te coucher peu après ces évolutions inaccoutumées, je me suis rassurée et j’espère que tu me diras ce matin que ce n’était rien. En attendant je suis on ne peut pas plus contrariée de n’avoir pas obéi entièrement à ton désir hier et de n’avoir pas remis purement et simplement la lettre de ce brave nègre à Kesler ricochant sur Marquand [1]. Je craignais que le susdit Kesler n’oubliât de la donner au susdit Marquand. J’ai cru mieux faire en la lisant tout haut et je vois que je me suis trompée. Cela devait être mais je n’en suis pas moins au regret de n’avoir pas suivi ton conseil. Je t’en demande pardon, mon cher adoré, une autre fois je serai obéissante comme une reine et j’aurai raison. Jusque-là je baisse ma caboche repentante et humiliée, tâchez de votre côté de ne pas trop m’en vouloir et de m’aimer un peu plus pour me consoler de ma stupidité. Cher bien-aimé, tout ce que je fais mal ou bien est toujours avec le désir de te prouver mon amour, mon admiration et mon dévouement.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16381, f. 48
Transcription de Claire Villanueva