Guernesey, 2 mars 1860, jeudi matin, 8 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour, beau jour dans ton cœur et dans tes yeux. La nature est au printemps, à la joie et à l’amour ce matin comme mon âme. L’air est vif, le soleil clair et les oiseaux chantent dans les branches et je te souris, et je t’admire, et je t’adore.
Comment as-tu passé la nuit mon cher bien-aimé ? j’ai eu le plaisir charmant de te souhaiter le bonjour à haute voix hier au soir pendant que tu montais à ton observatoire. Mais, mon cher petit astronome, prenez garde de réaliser la fable de l’astrologue [1] et de vous laisser choir de votre petite échelle sur les dalles du rez-de-chaussée. Un faux-pas et vous passeriez par-dessus la balustrade de votre étage. Sérieusement, mon bien-aimé, il faut descendre de ton toit avec plus de précaution surtout la nuit. J’espère que tu as mieux dormi que moi qui n’ai pas dormi du tout. Voilà deux nuits que je passe presque blanches. Cela tient à la maison probablement. Du reste je me porte bien, n’étaient mes douleurs. Aujourd’hui, si le cœur t’en dit et que mes pauvres pattes y consentent, nous ferons une bonne longue promenade jusqu’à Moulin-Huet [2] pour varier un peu notre itinéraire, non pas que je sois blasée de notre charmante route mais pour donner à Suzanne plus de chance de trouver des pissenlits et des mâches pour ta maison et pour ici.
Jusque-là je te baise et je t’adore.
Juliette.
BnF, Mss, NAF 16381, f. 39
Transcription de Claire Villanueva