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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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10 avril 1845

10 avril [1845], jeudi matin, 9 h. ¾

Bonjour, mon petit Toto bien aimé, bonjour, mon Victor si doux et si charmant que j’aime à deux genoux. Bonjour, bonjour, comment vas-tu ce matin ? As-tu pris un peu de repos cette nuit, mon Toto ? Je ne peux pas penser, sans inquiétude pour ta chère santé, à la vie que tu mènes depuis si longtemps. Il faut que tu sois aussi admirablement construit au dedans qu’au dehors pour n’avoir pas déjà succombé à cette vie de travaux perpétuels, d’affaires sans nombre et de nuits sans sommeil. Pour moi, j’en suis aussi étonnée qu’effrayée parce qu’il me semble impossible que tu résistesa toujours à cette vie dévorante. Qu’est-ce que je deviendrais, mon Dieu, si ce malheur arrivait ? Ne pas te voir quand je crois que tu te portes bien est déjà un suppliceb affreux, mais ne pas te voir parce que tu serais malade, je ne crois pas que je le pourrais sans en devenir folle. Ne crois pas que j’exagère, mon Victor bien aimé, et que je me sers comme d’une banalité du mot folle. Non, mon Toto, c’est bien la vérité comme je la redoute. Je sens que ta pensée continuelle a uséc presque toute ma raison dans ma pauvre cervelle absolument comme lorsqu’on frotte deux choses l’une contre l’autre et que la plus forte use la plus faible. Mon amour a usé mon courage et ma raison. Je sens que je ne résisterais pas à la pensée de te savoir malade loin de moi. Aussi je te supplied de te conserver en te priant de veiller à ta santé, je te prie de me conserver la vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 37-38
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu résiste ».
b) « un suplice ».
c) « à user ».
d) « je te suplie ».


10 avril [1845], jeudi soir, 9 h. ¼

Je suis sortie, mon bien-aimé, je suis allée voir ma grande fillette [1] ainsi que nous en étions convenusa. Je l’ai trouvéeb très bien portante et Mme Marre très contente d’elle ainsi que de la petite Charlotte qui, jusqu’à présent, est très gentille. J’en suis sortie à près de six heures parce que Mme Marre a jugé indispensable de me faire voir sa maison neuve depuis le haut jusqu’en bas et cela au moment où je m’en allais à cinq heures et demie. Je n’ai pas voulu la désobliger en m’y refusant, ce qui est cause que je ne suis sortie de chez elle qu’à six heures. Cette course m’aura probablement fait du bien au corps, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle ne m’en [a] pas fait au cœur. Il est impossible d’être plus triste que je ne le suis quand je marche seule dans les rues. Depuis douze ans, cela ne m’était jamais arrivé. Aussi je me demande ce que cela veut dire ? Est-ce de la confiance ? Est-ce de l’indifférence ? Peut-être les deux choses à la fois, mais dans tous les cas, mon pauvre cœur n’a pas lieu d’être satisfait. Mon Victor adoré, je ne veux pas te tourmenter, le bon Dieu le sait, mais j’ai le cœur malade. Je voudrais te remercier de ta bonne grâce et de ta CONFIANCE et le remerciement se traduit malgré moi en plaintes et en tristesses. Je sens que tu es bon au-delà de toute expression et je crains que tu ne m’aimes plus comme autrefois. Mon Victor, pardonne-moi si je me trompe et dis-toi que je t’aime plus que jamais, plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 39-40
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « nous en étions convenu ».
b) « je l’ai trouvé ».

Notes

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