Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1844 > Mars > 26

26 mars 1844

26 mars [1844], mardi matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme, comment vas-tu ce matin ? As-tu pris du repos cette nuit ? Le premier de tous les adoucissants pour ton irritation de poitrine, c’est le repos. Il faut que tu aies le courage de te reposer, mon Toto, si tu ne veux pas que cette petite irritation, qui n’est rien jusqu’à présent, devienne sérieuse. Je viens de te faire faire de la tisanea fraîche, tu as du sirop et de la gomme.
Tu as aussi ta boîte d’odontine [1] ou plutôt je l’ai ici. Tu serais bien gentil de la venir chercher tout de suite ou si tu l’aimes mieux de venir te nettoyerb les dents chez moi. J’aime autant l’un que l’autre pourvu que je te voie. Je suis triste, mon Toto, de n’avoir pas pu lire le livre de M. Gleize puisque tu aurais pu essayer aujourd’hui de le faire entrer dans le concours, car dans ma pensée, je crois que de tous ceux que vous couronneriez, il n’y en aura pas un de plus utile ni fait dans des vues plus généreuses et plus humaines. Il est vrai que ce monsieur ne demande rien, ce qui prouve encore en faveur de son livre c’est qu’aucun intérêt personnel ni d’amour propre ne le préoccupaitc pendant qu’il le faisait, une des premières qualités je crois pour faire un bon livre. Enfin, et quel qued soit le peu d’importance de mon opinion, je n’en suis pas moins fâchée de n’être pas en mesure de présenter mon candidat aujourd’hui. Une seule chose pourrait me consoler, ce serait si on pouvait le présenter au concours l’année prochaine, ce que je ne sais pas. J’espère que voilà une grande page d’écriture inutile car tout ce que je te gribouille là, j’aurais pu te le dire en quelques paroles et beaucoup mieux. Je suis une vieille bête, il y a longtemps que je le sais et toi aussi.
Jour Toto, jour mon cher petit o, je voudrais que tu voies M. Louis pour ta poitrine quoique je pense que ce n’est rien. Cependant, il serait plus prudent d’avoir son opinion que la mienne. Si tu étais raisonnable, tu le consulterais le plus tôt possible. Cela me tranquilliserait et peut-être aussi te débarrasserait-il plus vite de ton inflammatione par un remède que je ne connais pas. De toute façon il n’y a aucun inconvénient à le consulter et peut-être il y aura-t-il l’avantage de te guérir tout de suite. Tu devrais faire cela pour moi, mon cher amour bien aimé. Si tu le fais je te baiserai bien et je te promets de te rendre la pareille à la première occasion. En attendant, je suis là, je t’aime, je te désire et je t’attends. Je n’espère pourtant pas te voir avant ce soir. Tâche au moins de n’avoir pas froid et ne pas être mouillé car le temps d’ici me paraît très menaçant. Ce qu’il faut que tu évites par-dessus tout, c’est l’humidité aux pieds et sur tes habits. Tout ce que je te dis là n’est pas bien drôle mais c’est bien important pour ta santé. Je ne t’écris pas pour t’amuser, tu ne le sais que trop, mais pour te faire penser à prendre soin de ta chère petite santé qui est ma vie à moi et puis aussi pour te dire que je t’aime de toute mon âme. Le reste m’est égal comme deux œufs.
Pense à moi, mon cher petit homme, regrette-moi et soigne-toi. Moi je t’aime et je te désire passionnément jour et nuit et nuit et jour. Viens me voir le plus tôt que tu pourras dans l’intérêt de mon bonheur et dans celui de ton rhume. Aime-moi un peu mon adoré, je le sentirai d’ici et cela me donnera le courage de t’attendre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 331-332
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « tisanne ».
b) « netoyer ».
c) « préocupait ».
d) « quelque ».
e) « inflamation ».


26 mars [1844], mardi soir, 5 h. ¾

Je savais trop bien que tu ne viendrais pas avant ce soir, méchant, quoique tu eusses besoin de prendre de la tisanea mais tu aimerais mieux crever de toux que de venir un quart d’heure plus tôt au risque de me faire le plus grand bonheur. Vous êtes une bête, voilà ce que vous êtes. Vous pouvez le mettre dans votre diplôme d’académicien et l’accrocher à votre boutonnière si cela vous convient.
J’ai vu Mme Luthereau tout à l’heure. Elle est restée très peu de temps et elle ne m’a rien dit de nouveau. Elle paraissait fort inquiète et fort préoccupée de sa position. Hélas ! Je crains que ces pauvres gens-là ne soient mal assortis, l’absence d’argent et d’aisance étant donnée. Dieu veuille que je me trompe mais je n’en ai pas trop bonne opinion.
Du reste, je n’ai vu qu’elle. Mme Triger n’est pas venue en allant chez son cousin quoiqu’elle m’eût fait annoncer sa visite par Mme Luthereau. Je la regrette médiocrement malgré que ce soit une très bonne et très honnête femme mais tu sais qu’elle n’est rien moins que drôle. Je t’attends avec impatience, mon Toto, pour savoir comment tu vas et pour t’abreuver de tisanea. Il me semble que l’Académie est finie depuis longtemps et je te trouve bien bourreau de ton corps et de mon cœur pour ne pas te hâter plus que ça dans l’intérêt des deux. Toto n’est pas i. Je voudrais bien sortir avec vous, si vous avez l’imprudence de me le proposer ce soir, il est probable que je l’accepterai avec frénésie. Il y a des jours où mes envies de sortir sont inexprimables sans que je sache pourquoi. Je sens le besoin d’air frais comme on sent le besoin de manger quand on a bon appétit et que le dîner est en retard. Je suis dans un de ces jours-là aujourd’hui. Prenez garde à vous, Toto. Je t’aime, toi tu sauras ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 333-334
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « tisanne ».

Notes

[1Odontine : Opiat utilisé pour l’entretien des dents.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne