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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 février [1844], mercredi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon cher bien-aimé, bonjour toi, bonjour vous.
Comment que ça va ? Je vous défends de souffrir, c’est bien le moins puisque vous ne me donnez rien pour mes menus-plaisirs que vous ne me donniez par l’inquiétude et le chagrin de vous savoir malade. Ça ne serait pas juste, n’est-ce pas ? Tâchez donc d’être bien portant et bien gaillard, dussé-je n’en avoir de profit que la vue. Tous les matins je vous dis bonjour dans la personne de Jacquot. Il me serait impossible de ne pas parler de vous à qui et à quoi que ce soit. Aussi, tous les jours en m’éveillant, j’adresse cette petite phrase à mon Coco :
« Bonjour Toto, bonjour mon petit Toto, comment te portes-tu ? » Il me répond par un petit grognement sourd que j’ai la complaisance de trouver aimable et je suis très contente. Cependant tout cela est un peu de la viande creuse et je prendrais volontiers un bonheur plus substantiel. Dieu ! Que je vous fais la part belle ! Et que vous allez trancher du fier-à-bras et du brise-montagne aujourd’hui. Tous les mois je vous donne cette innocente satisfaction à peu de frais [1]. Voime, voime, Toto est bien terrible et son grand braquemard aussi. Ici, là mamzelle Chichi est très épourrivée tes exbloits de Monsire Dodo. À côté il y a de la place. Baisez-moi monstre, cher petit monstre et puis fâchez vous si voulez, je m’en fiche pas mal encore. Ça vous apprendra à faire l’académicien au sérieux. Baisez-moi un peu mieure que ça.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 201-202
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette


21 février [1844], mercredi soir, 5 h. ¼

Tu viens quand tu peux, mon Toto, je le sais et je suis reconnaissante de tous les moments que tu me donnes ; mais en même temps je regrette que les moments que tu as de libres soient presque toujours si mal choisis et toujours à des heures où je n’en peux pas profiter. Sans parler de mon amour propre qui se trouve aux prises avec les négligés les plus hideux. Aujourd’hui tu es venu deux fois, mon adoré, et c’est tout au plus si j’ai eu le temps de te voir et cela comptera pourtant dans le lot de bonheur que tu dois me donner comme deux vraies visites tandis qu’en réalité ce ne sont que deux apparitions. Je t’en remercie tout de même, mon adoré, mais j’en voudrais une autre tout de suite bien bonne et bien longue pour me faire apprécier mieux encore les deux de ce matin.
Claire est revenue de ses courses. Elle a entrevu son père sur le seuil de sa porte. Il était occupé au buste d’un général qui posait dans ce moment-là [2]. Elle a vu aussi Mme Pierceau qui est plus mal que jamais et puis enfin son médecin qui lui a ordonné une autre petite bouteille de trente autres sous et d’une autre drogue, je le suppose. Demain matin elle rentrera à la pension d’où elle ne reviendra que dans vingt jours. Je brûle un tour de sortie à cause du jour gras [3]. Je suis comme vous, mon Toto, ce que je donne en son je le retire en farine et puis je ne veux pas lui faire perdre son temps. Ce n’est pas le même motif qui vous fait agir je crois ? Baisez -moi mon cher petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 203-204
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

Notes

[1Durant la période des règles, Juliette « libère » en quelque sorte Hugo ou l’invite à d’autres pratiques. Tout le passage est grivois et plus ou moins codé.

[2Il s’agit probablement du buste du général baron de Feuchères. Voir : http://www.culture.gouv.fr/Wave/image/merimee/PROT/PA00103096_DOC.pdf.

[3Le dimanche gras est un carnaval populaire parisien, où se mêlent dans les rues de Paris les artistes et le peuple.

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