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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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13 novembre [1843], lundi matin, 10 h. ¼

Bonjour, mon cher bien-aimé adoré, bonjour mon ravissant petit homme, bonjour je t’aime de toute mon âme. J’espère que tu ne souffres pas ce matin et que toute ta chère petite famille va bien.
Je viens de recevoir une lettre de ma Clairette qui est bien tendre et bien bonne. Elle a bien travaillé toute la semaine. Elle me rappelle qu’elle aura dix-sept ans la nuit prochaine et à ce sujet elle me dit des choses très touchantes et très senties. Pauvre enfant, quel malheur que son père se conduise si mal avec elle. Peut-être que si tu le voyais et si tu lui parlais de son enfant, il ferait pour elle ce que l’honneur et la nature veuillent qu’on fasse en ce cas-là. C’est plus que jamais que cette pauvre enfant doit sentir le besoin de l’affection de son père. Il serait bien bon et bien généreux à toi de t’employer pour ça. Malheureusement les occasions te manquent je le sais, mon cher bien-aimé, et cette dernière chose pour l’inauguration de son Molière [1] ne lui sera rien moins qu’agréable. Enfin, ne désespérons pas encore ; l’important est que l’enfant se rende [illis.] de l’affection de son père.
Croirais-tu, mon cher petit, que j’ai fait les mêmes rêves cette nuit que la nuit passée ? Je revois en songes toutes les joies et toutes les [illis.]. Ce sont peut-être les fantômes de celles que j’ai massacrées qui reviennent me tourmenter la nuit. Quel affreux cauchemar ! [illis.]
Vous avez été bien gentil hier, mon Toto, mais cela ne me suffit pas. Le vrai bonheur, c’est de déjeuner ensemble, d’être plusieurs heures auprès l’un de l’autre, de vivre de la même vie. Sans doute le petit moment de bonheur de cette nuit vaut mieux que rien mais ce n’est pas assez pour une pauvre femme qui tire la langue après plus d’un mois. N’est-ce pas que j’ai raison mon Toto chéri ? Eh ! bien alors, il faut te dépêcher de venir me rabibocher du temps perdu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 45-46
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette


13 novembre [1843], lundi soir, 5 h. ¼

J’ai bien mal à la tête mon cher petit bien-aimé. Cela tient peut-être aux contrariétés que j’éprouve dans l’intérieur de ma maison avec les maladresses et les mille petits anicrochesa qui se succèdent toute la journée. Tout ce que je sais, c’est que j’ai une horrible migraine ce soir et que je souffre beaucoup. Si je te voyait cela se passerait bien vite. Tu es ma panacée universelle et tu es mon cher bien-aimé adoré. Voilà ce que tu es toi.
Je parie que tu oublieras encore de m’apporter le livre de Custines. Voime, voime, beaucoup de mémoire quand il s’agit de moi. Taisez-vous vilain monstre et venez tout de suite et je vous pardonnerai tous vos [travers ?].
Dieu que ma lampe est gentille ! Il est dit que tous mes ustensiles de ménage, y compris ma serventre, se sont donnés le mot pour [rater ? râler ?] tous ensemble. Quelle aimable maison aujourd’hui pour très peu de choses et rien avec. Je la ficherais par la fenêtre, Cocotte et Fouyou compris. Ce que j’ai éprouvé de guignon aujourd’hui est inconcevable. Il est vrai que c’est aujourd’hui le 13, alors tout s’explique. Je trouve que ce chiffre a l’air de faire la grimace d’un méchant homme bête. Je trouve qu’il ressemble à [Rolle ? Bolle ?]. Sans plaisanterie voilà l’effet qu’il me fait. Sur ce, baisez-moi à mort et pensez à revenir bien vite vous coucher auprès de moi dès que vous aurez lu ce gribouillis.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 47-48
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « annicroches ».

Notes

[1Pour la fontaine Molière qui sera bientôt inaugurée, Pradier a réalisé deux statues allégoriques, La Comédie légère et La Comédie sérieuse.

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