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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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25 décembre [1842], dimanche matin, 11 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé de mon cœur, comment vas-tu ? Ta pauvre tête est-elle encore embarrassée, as-tu encore saigné au nez ? As-tu pris quelque repos cette nuit ? Je ne te demande pas pourquoi tu n’es pas venu parce que je sais trop bien la réponse d’avance ; et tu sais bien d’ailleurs que je ne croyais pas à ta promesse cette nuit, quoique tu me l’aies fait avec une surabondance d’assurance et de protestation. Maintenant, je suis passée à une incrédulité féroce auprès de laquelle celle de St Thomas ne serait que de la St JEAN. Il ne faudra pas moins que mes deux mains dans les vôtres, mes yeux dans vos yeux, ma bouche sur la vôtre, mon nez à votre nez…….a Et le reste à l’avenant pour que je commence à croire que vous êtes bien mon Toto en chair et en os, couchant et déjeunant avec moi. Voilà où j’en suis venue, à force de déception et de souffrance. Vous voyez à quoi vous m’avez réduite, vous n’en rougissez pas ? Il n’y a pas jusqu’aux cocottes qui ne fasse métier de me manquer de parole et de se faire attendre après s’être annoncées [1]. La mienne n’est pas encore venue, je voudrais être sûre qu’elle ne vienne pas du tout pour ne plus m’en occuper et pour me réjouir de garder mon argent, c’est à dire le tien, pour un meilleur usage ! Eh ! bien, ma commission [2] est-elle faite ? Maintenant, j’y compte peu puisque la bonne DD [3] n’a rien dans son capharnaüm et que M. Toto second [4] ne donne pas volontiers ses coquilles. Tant pis pour ces pauvres petits goistapioux, ça ne sera pas ma faute si je ne leur ai pas envoyé un échantillon de la générosité et des joujoux parisiens.
Mon Toto chéri, je vous aime. Je ne vous apprends rien de nouveau et ce que je vous en dis, c’est pour me faire plaisir à moi-même. Est-ce qu’il y avait répétition [5] aujourd’hui ? Il me semble que le dimanche, il n’y en [a] pas à ce théâtre ? Je saurai cela et malheur à vous !!! En attendant, je vous attends et je vous attendrai probablement longtempsb. Baisez-moi, cher monstre, et aimez-moi ou je vous tue net comme DOMINUSc [6]. Baisez-moi encore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 321-322
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) Il y a sept points de suspension.
b) « long-temps ».
c) « DOMINU ».


25 décembre [1842], dimanche soir, 10 h. ¾

Je t’ai vu souffrant, mon Toto, et depuis ce moment, j’ai un redoublement de tristesse et d’inquiétude dont je ne suis pas maîtresse. La fin de l’année n’est pas encore passée et j’ai le temps d’avoir encore d’ici là bien des chagrins parmi lesquels celui de te savoir malade serait le plus affreux et le plus insupportable de tous. Je t’en supplie, mon Toto, ménage toi, prends quelque repos, viens te faire soigner par moi, tu verras comme je te guérirai bien. J’ai une petite provision d’argent pour quelques jours si, comme je l’espère et comme je le désire, la cocotte ne vient pas. Eh bien, profitons de ce petit capital, toi pour te reposer et te soigner, moi pour reprendre du courage, de la confiance et du bonheur. Je t’assure que chacun de notre côté, nous avons bien besoin de nous ravitailler. Moi surtout, je suis au bout de toute joie et de tout bonheur, je n’en ai plus une goutte à mon service. Je t’attends dans la tristesse, je te vois repartir avec désespoir. Je ne sens plus mon amour qu’à travers mon chagrin. Autrefois, c’était tout le contraire, je t’attendais avec confiance, je te voyais avec ravissement et quand tu t’en allais, je n’avais que l’impatience de ton retour. Impatience bien vive mais enfin, pleine d’espoir. Je ne sais pas si je me fais comprendre, mais je sais que je t’aime plus que jamais et je sais cependant que le plaisir, les voluptés et les joies de l’amour me manquent. À quoi cela tient-il ? Voilà la question que je me pose à tous les moments de ma vie et à laquelle je n’ose pas me répondre. Je sais bien que tu travailles mais tu travaillais aussi autrefois, pourtant tu trouvais le temps de me donner des heures, des jours, des nuits entières de bonheur et d’extase. Hélas ! Depuis deux ans et demi, on pourrait facilement compter les quelques rares minutes que tu m’as données. Mais, mon pauvre ange, mes tristesses et mes chagrins de cœur se taisent devant la crainte de te voir malade. Il faut absolument que tu te soignes. Il le faut, mon adoré ; pour cela, j’économiserai tant que je pourrai mais je t’en suppliea encore, prends du repos, mon bien-aimé adoré.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 323-324
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « suplie ».

Notes

[1Le beau-frère de Juliette, Louis Koch, lui a fait dire qu’il lui avait envoyé une perruche, dont Juliette attend l’arrivée depuis plusieurs jours.

[2Juliette a fait demander aux enfants de Victor Hugo s’ils avaient des affaires auxquelles ils ne tenaient plus afin de les envoyer aux enfants de sa famille en Bretagne. En effet, elle prépare un colis pour son beau-frère, à qui elle fait parvenir un exemplaire des œuvres complètes de Victor Hugo.

[3Graphie fantaisiste de Dédé

[4Désigne François-Victor Hugo, fils de Victor Hugo.

[5Victor Hugo est en train de faire répéter Les Burgraves.

[6« Net comme Dominus » : expression que Juliette utilise régulièrement pour exprimer ses menaces jalouses [Remerciements à Sylviane Robardey-Eppstein].

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