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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 décembre [1842], dimanche matin, 11 h. ½

Bonjour, mon cher petit bien-aimé. Bonjour mon Toto adoré, comment vas-tu ? Je n’ose pas te demander : comment m’aimes-tu ? J’ai dans le cœur une voix qui me répond bien tristement et qui malheureusement ne me trompe pas. Mais enfin, tu dois être bien heureux, mon pauvre bien-aimé, de la consultation d’hier. Te voilà rassuré sur ton cher petit garçon [1], a eu une consultation médicale la veille. [2] Les précautions à prendre ne sont que des précautions avec lesquelles la santé de l’enfant sera pour toujours à l’abri. Pour ma part, mon adoré, je suis bien heureuse de cette bonne nouvelle et j’en remercie le bon Dieu de tout mon cœur.
Tu as oublié de prendre ton premier acte [3] cette nuit, mon Toto, et tu n’as pas eu le courage de le venir chercher ce matin ? Hélas ! Je ne sais pas ce qui pourrait te décider maintenant à venir le matin. Toutes ces habitudes d’amour s’en vont et s’amoindrissent chaque jour, et bientôt il n’en restera plus que le souvenir dans mon pauvre cœur désolé. Dans ta conscience, tu dois savoir que je dis vrai et tous les efforts que tu fais pour me cacher ce refroidissement ne peuvent me donner le change, ni à toi non plus. Je ne t’en veux pas, c’est tout simple. Et le cœur, le dévouement, l’amour sans borne et sans exemple que j’ai pour toi mis à part, je m’étonne même que tu aies pu m’aimer, je ne dis pas dix ans mais dix jours. Je me rends bien justice, va, je sais bien que je t’aime comme jamais homme n’a été aimé avant toi, mais je sais que cela ne suffit pas et que les joues roses, les cheveux noirs et la taille fine sont des séductions contre lesquelles tous les amours de la terre et du ciel ne sont qu’ennui, fatigue et contraintes pénibles. Je sais cela et si je n’ai pas le courage de m’y résigner, j’ai celui de te pardonner.
Je t’aime, mon Victor, je t’aimerai jusqu’à la fin de ma vie. Plus tard tu sauras ce que valait un amour comme le mien. Aujourd’hui, cela t’ennuiea et t’importune. Plus tard, mon souvenir te sera doux et triste et tu regretteras la pauvre femme qui t’a trop aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 269-270
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « ennui ».


11 décembre [1842], dimanche soir, 3 h. ¾

Tu ne viens pas, mon Toto, mais je t’aime. Je souffre mais je t’aime. Je suis triste mais je t’aime. J’ai la mort dans le cœur mais je t’adore. Tu n’as pas cependant, que je sache, aucun empêchement majeur qui t’empêche de venir ? Peut-être t’en est-il survenu auquel tu ne t’attendais pas. Quoi qu’il en soit, je t’aime. J’ai retrouvé un petit bout de cordon de cheveux déchiré et coupé par le chat, mais tous mes efforts ont été inutiles pour retrouver la petite croix à laquelle je tenais parce qu’elle m’avait été donnée par la providence et par toi. Je n’ai pas de bonheur, mon pauvre ange et cette perte est plus significative que tu crois. Du reste, il me sera difficile de conserver ce chat avec les mauvaises habitudes que lui a laissé prendre cette stupide Suzanne. Tout à l’heure, il vient de renverser la lampe qui arrivait de Carcel. et j’en suis encore à savoir si les rouages sont détraqués ou brisés. La table de noyer a été cassée par la chute, le tapis rempli d’huile. Trop heureux encore si ce dégât se borne à ce qui est extérieur. Tu comprends, mon ami, que pour peu que ce genre persiste, il me sera impossible de le garder. Voilà les choses gracieuses et distrayantes que j’ai eues dans ma maison aujourd’hui. Dieu sait ce que sera demain. Il est vrai que je ne te vois pas, il est presque certain que tu ne m’aimes plus. En vérité, ma vie est bien charmante, mais j’ai bien envie de la planter là pour voir ce qu’elle deviendra sans moi. En attendant, je te le répète comme je le sens, je t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 271-272
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le fils de Victor Hugo, François-Victor Hugo.

[2Celui-ci a souffert durant plusieurs mois d’une grave maladie pulmonaire qui a inquiété toute sa famille ainsi que Juliette.

[3Juliette fait vraisemblablement référence au manuscrit des Burgraves que Victor Hugo a déjà présenté au Théâtre-Français.

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