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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er novembre 1842

1er novembre [1842], mardi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour mon cher amour chéri. Comment vas-tu ce matin, comment vont tes yeux [1], mon adoré ? J’ai rêvé de toi toute la nuit, mon cher bien-aimé. J’espère qu’il ne t’est rien arrivé de triste ni de fâcheux, quoique mes rêves le fussent beaucoup ? J’ai hâte de te voir, mon Toto chéri, pour être bien sûre que tu vas bien et que tu ne souffres pas.
As-tu vérifié les comptes, mon Toto, as-tu remarqué chacune des dépenses en particulier, y a-t-il quelque chose qui te paraisse excessive ou qu’on puisse supprimer ? Mon amour chéri, je te serai bien obligée de me l’indiquer. Baise-moi, mon Toto bien aimé et crois bien à mon désir sincère de diminuer toute dépense inutile ou surabondante et d’alléger le fardeaua si lourd qui pèse sur toi. C’est bien bien vrai, mon cher adoré ! Je baise tes chères petites pattes, mon adoré, et je vous défends d’avoir froid. Je ne veux pas non plus que vous souffriez ou bien je me fâcherai tout rouge.
Clairette va aller à la messe et peut-être à vêpres mais dans tous les cas, les plaisirs intérieurs ne s’opposent pas à ce qu’elle gardeb le respect et le sérieux dus à la circonstance. D’ailleurs la Toussaint ne nous ayant rien envoyé de neuf, je ne vois pas pourquoi nous garderions aucun ménagement envers le susdit ou les susdits car il me semble que c’est une fête collective de tous les canonisés… ? ….. mais la voici partie.
J’espère, mon Toto, que vous ne direz pas que j’ai cherché à comprendre ce que vous me dictiez cette nuit ? Hein, en voilà une de Juju obéissante comme on en voit peu, comme on n’en voit guère, comme on n’en voit pas. Vous chercheriez longtempsc avant de retrouver sa pareille, c’est moi que je vous le dis et je m’en flatte. Taisez-vous. Il y a deux ans à pareil jour, mon Toto, nous revenions de notre voyage, je n’étais pas plus gaie qu’aujourd’hui, mais j’avais de plus qu’aujourd’hui deux mois de bonheur, deux mois d’intimité, deux mois d’amour non interrompus, tandis qu’aujourd’hui je n’ai que deux ans aridesd, deux ans d’ennui, de solitude et de tristesse [2]. Ça n’est pas la même chose. Je ne sais pas si nous referons jamais de voyage, j’en doute, car je te vois t’acoquiner de plus en plus à la vie sédentaire, à la vie morose et prosaïque, mais ce que je sais, c’est que ces deux mois de bonheur parfait m’étaiente nécessairesf et que je ne pourrai pas m’en passer plus longtempsc sans de graves accidents. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 183-184
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « fardeaux ».
b) « gardent ».
c) « long-temps ».
d) « arrides ».
e) « était ».
f) « nécessaire ».


1er novembre [1842], mardi soir, 3 h.

Je vous écris sur ma dernière demia feuille de papier, mon Toto, c’est à vous à penser à m’en apporter, maintenant [3]. Je suis fâchée et très fâchée que vous ne soyez pas venu ce matin m’apporter vos grègues [4] à CORMMODER. Il paraît que vous avez donné la préférence à une autre, c’est très mal à vous. Taisez-vous et dîtes-moi comment vous allez. Il fait un temps quelconque, ni chien ni loup, absolument comme la mine que vous me faîtes depuis quelque temps. Je pense que ce n’est pas lui qui met obstacle à ce que vous veniez puisqu’il n’y a pas de brouillard, qu’il ne fait pas de vent et qu’il ne pleut pas ? Voici Marinette qui vient chercher ma fille pour la mener à vêpres.

2 novembre [1842], mercredi matin, 10 h. ¼

Non, mon cher adoré, ce n’est ni oubli, ni indifférence ni rien de triste pour notre amour qui m’a empêchée de te finir ce gribouillis hier. C’est tout le contraire. C’est à force de penser à toi, de te désirer et de compter les minutes sur le cadran de la pendule, voilà la seule et véritable cause de cet oubli, mon adoré. J’en ai été plus triste et plus peinée que toi, mon bien-aimé, lorsque je m’en suis aperçu hier parce que je sentais que tu pouvais te méprendre sur l’apparence comme je me serais méprise moi-même à pareille circonstance. Le chagrin violent que j’en ai ressenti tout de suite m’a donné un véritable tort envers toi en m’emportant et en me mettant en colère, je t’en demande mille fois pardon, mon adoré, à genoux et du fond du cœur. Mais je t’en prie, à l’avenir, quelles que soientb les apparences, ne doute pas de mon amour car cela m’exaspère et me rend folle. Songe, mon bien-aimé adoré, à tout ce que je souffre dans l’espoir seul de te convaincre que je t’aime comme jamais homme n’a été et ne sera jamais aimé par une femme, comme tu l’es par moi. Je baise tes pieds.

Juliette

Je n’ai plus de papier, mon Toto. Je suis forcée d’attendre que tu m’en apportes. Si tu ne veux pas que j’en achète. Comment vont tes yeux, mon pauvre ange ? As-tu pris un peu de repos ?

BnF, Mss, NAF 16350, f. 185-186
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « demie ».
b) « quelque soit ».

Notes

[1Victor Hugo souffre des yeux depuis quelques semaines.

[2Du 29 août au 1er novembre 1840, Victor et Juliette avaient fait un voyage sur les bords du Rhin et dans la vallée du Neckar. Depuis 1841, ils ont interrompu la tradition de leur voyage annuel.

[3Victor Hugo amène normalement régulièrement du papier à Juliette afin qu’elle puisse écrire ses correspondances dans le cadre de leurs conventions

[4Grègue : haut-de chausse, culotte.

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