Vendredi soir, 8 h. 5 m.
Certainement oui, mon Toto, je suis quelquefoisa très embarrassée pour vous écrire, parce qu’il m’est impossible souvent d’assembler d’autres mots que ceux-ci : je t’aime, d’autres idées que celle-là : je l’aime, ni plus ni moins. Pas un traître mot avec ces deux-là et le moyen d’écrire quatre pages avec sept lettres de l’alphabet surtout quand on n’a pas d’invention. J’aime mieux alors ne t’écrire que ce que je sens et comme je peux. Je t’aime, multiplié en autant de fois qu’il y a de grains de sable sur la terre, de feuilles aux arbresb, d’oiseaux dans l’air, et d’étoiles au ciel, et encore tu n’auras pas le chiffre exact de mon amour, car je t’aime bien plus que jusqu’où la pensée peut s’étendre. Voilà comme je t’aime.
Et puis je t’attends, et puis je te baise en pensée, en désir, en souvenir, en avenir. Je te baise pendant toute ma vie, absent ou présent. Mais je ne suis heureuse que quand tu es avec moi.
Juliette
[Adresse :] :
À mon Toto chéri
BnF, Mss, NAF 16324, f. 199-200
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « quelques fois ».
b) « arbre ».