Mercredi après-midi, 4 h. ½
C’est d’après l’heure de votre montre que je date ma lettre. Si je n’étais pas la plus honnête des femmes, je pourrais vous fruster [1] de votre montre cependant. Mais je suis pauvre et honnête.
À propos d’honnête, ma bonne vient de me demander son congé. J’ai de bonnes raisons de croire que se voyant traquéea et surveilléeb, elle aura pris le parti d’aller exercer son industrie ailleursc.
Je viens de voir et de revoir la bijoutière. D’abord, elle avait emporté les objets pour en savoir le prix, elle vient de me dire que cela me coûtera 6 francs et que j’aurai tout cela ce soir à 5 h. J’y ai consentid.
J’attends encore la propriétaire, mais surtout, ce que j’attends, ce que je désire, c’est vous. Vous, mon cher petit homme que j’aime et que j’adore. Je voudrais vous avoir toujours là devant moi pour vous admirer et vous adorer à mon aise. Hélas ! mes vœux sont souvent peu écoutés.
J’en étais là de ma lettre lorsque Mme Guérard est arrivéee comme une folle en cabriolet avec son mari qui n’est pas monté, bien entendu. Elle venait me demander d’aller samedi de cette semaine faire ses confitures. Elle m’a priée de t’en prier, ce que je fais sous aucune autre influence.
La propriétaire vient de venir, elle n’avait pas de monnaie comme je l’avais prévuf. Enfin, je l’ai payéeg. Et puis je t’aime, et puis je te baise.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16324, f. 138-139
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « traqué ».
b) « surveillé ».
c) « allieurs ».
d) « consentie ».
e) « arrivé ».
f) « prévue ».
g) « payé ».