Lundi soir, 8 h. ½
Je m’en veux, mon cher bien-aimé, autant que si c’était ma faute, de ne pas partager tous tes plaisirs, toutes tes sensations. Il faut pourtant que cela me soit tout à fait impossible pour me séparer de toi une seule des minutes que tu me donnes. Va, je suis bien punie de ma poltronnerie ! Je serais si fière et si heureuse de jouir de ton plaisir, et de m’élever jusqu’au piédestal de ta gloire. Je consentirais à me transformer pour un moment en Quasimoda, pour te suivre en corps là où tu as habité en esprit. En vérité, je suis stupide et peu logicienne. Car, enfin, je n’ai aucun effroi avec toi. J’ose bien te regarder dans tous les sens, au besoin je ferais bien sur toi la forfanterie que Boulanger et toi aveza faite sur ces fameuses tours de Notre-Dame que je n’ose mesurer de l’œil [1]. Et pourtant, tu es bien autrement grand et haut !
Je ne crois pas que tes pieds touchent en aucune façon à notre empire ni même à celui des morts [2] ! Mais ce que je sais pertinemmentc, c’est que ta tête touche aux cieuxc. Eh biend, je n’ai aucun vertige de toi, je n’ai que de l’enivrement, de l’amour, de l’admiration et pas autre chose.
Tu étais préoccupé tout à l’heure, du moins tu m’as donné cette raison pour cacher peut-être une tristesse. Ce serait mal à toi de me cacher un chagrin, si léger qu’il soit. Je veux tout savoir, tout partager, je veux te plaire, mais je veux aussi te consoler. Je désire ardemment ton retour pour te baiser, pour te délasser.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16324, f. 59-60
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
[Souchon]
a) « avait ».
b) « pertinament ».
c) « au cieux ».
d) « et bien ».