15 janvier 1842

15 janvier [1842], samedi après-midi, 4 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon amour, bonjour ma vie, mon bien, ma joie, mon tout. J’ai passé une affreuse nuit et encore à l’heure qu’il est, je ne suis pas bien sûre de n’avoir pas sur l’estomac mon veau de cette nuit. C’est bien la dernière fois que je mangerai d’un animal quelconque à des heures aussi indues. J’ai souffert et je souffre encore comme une damnée. Enfin, c’est la dernière fois que je me mettrai sous l’invocation des Dieux Gouliaf, Goulu, Glouton et Goinfre^a. J’aime mieux me mettre sois le patronage^b des déesses diète, famine et faim. Je serai sûre de n’avoir pas d’indigestion et de n’être pas un GROS ÊTRE. Taisez-vous, monstre, ou je dévoile toutes vos turpitudes et toutes vos blagues. Taisez-vous MON CHIAT. À propos, vous êtes bien revenu, c’est drôle. Si cela continue longtemps, je vous préviens que je donnerai ma démission de grosse femme et que vous en chercherez une autre du même calibre. Si vous pouvez la trouver, je vous donnerai un merle orange. En attendant, je commence à trouver la chose un peu VIVE, pour employer votre expression, et je vous engage à la faire cesser le plus tôt^c possible si vous tenez à votre vie dans toutes les acceptions possibles. Je vais écrire tout à l’heure à la femme de mon père pour savoir pourquoi depuis quinze jours que j’ai écrit à mon pauvre père, on ne m’a pas fait réponse. J’écrirai aussi aux Lanvin en leur envoyant copie de ta lettre à Trébuchet. J’attends toujours des nouvelles de Claire. Je pense qu’elles doivent être bonnes puisqu’on me les fait attendre. Et puis je vais me dépêcher de me lever et de faire mes affaires pour me plonger avec fureur dans le RHIN. Baisez-moi, monstre et aimez-moi ou sinon je vous tue.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 41-42
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « Goinffre ».
b) « patronnage ».
c) « plus tôt ».

15 janvier [1842], samedi soir, 5 h. ¼

Ah ! Je l’attends, je l’attends, je l’attends, l’attendrai-je encore longtemps ? Voilà mon refrain ordinaire mais je voudrais bien en changer ne fût-ce^a que pour ne pas toujours dire la même chanson, ce qui est fort monotone et fort embêtant.
J’ai un mal de tête sterling que j’attribue au temps. Cela ne m’a pas empêchée de me peigner à fond dans l’espoir que vous viendrez demain c’est-à-dire cette nuit VOIR SI J’Y SUIS, précaution qui ne sera peut-être pas inutile car j’ai très envie d’aller voir AILLEURS si vous y êtes. Je n’ai pas encore reçu de nouvelles de ma Claire. J’en attends cependant ce soir. On a beau se raisonner, on ne peut pas empêcher l’inquiétude de prendre le dessus. J’en suis là avec ma pauvre péronnelle. J’ai écrit chez mon père pour savoir enfin comment il est. J’ai aussi écrit à la mère Lanvin par Suzanne en lui envoyant la copie de ta lettre à ton cousin. Dès que nous le pourrons, nous lui donnerons un exemplaire de ton livre [1] mais il faut d’abord commencer par mes femelles qui vont me harceler demain à qui mieux mieux probablement. Moi, je vais me fourrer le nez dans mes livres et je ne l’ôterai que pour le mettre à vos sacrés pieds si vous venez. En attendant, je vous aime mais je ne suis pas la plus heureuse des femmes. Je vous attends mais avec impatience. Je voudrais vous battre et vous mordre absolument comme Jacquot. Baisez-moi, méchant homme, et revenez tout de suite à moi dès que vous aurez lu ce gribouillis si tant est que vous le lisiez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16348, f. 43-44
Transcription d’Hélène Hôte assistée de Florence Naugrette

a) « fusse ».