Aux Metz, mardi matin [15 septembre 1835], 8 h. ½
Bonjour, mon cher Victor, bonjour, mon bien-aimé, comment as-tu passé la nuit ? Quant à moi, la mienne a été moins bonne qu’à l’ordinaire quoique je me sois couchée à 9 h. du soir et levée ce matin à 8 h. Mais c’est que je m’étais couchée dans des idées tristes et avec un mal de tête féroce dans le genre de ceux que tu connais.
Le temps qui était fort couvert de brouillard s’est levé et ma bonne qui prétend s’y connaître assure qu’il fera très beau toute la journée. J’accepte avec joie sa prophétie. Je pourrai aller au devant de toi et dans tous les cas où le temps menacerait ou serait trop humide, nous avons notre chez nous [1] qui ne demande pas mieux que de nous abriter le plus commodément possible.
Je m’en vais me dépêcher de me débarbouiller et de m’habiller. Ensuite, je déjeunerai puis je travaillerai un peu à ma robe en attendant l’heure de te voir.
J’ai encore un reste de tristesse et d’inquiétude. J’ai beau faire tous mes efforts pour qu’il y paraisse le moins, je ne parviens pas assez à me dompter pour ne pas te reparler d’hier. Vois-tu, mon Victor, depuis trois ou quatre mois, je t’observe et je crois être sûre que tu m’aimes beaucoup moins de jour en jour. Si cela était, comme je le crains, je te prie à genoux de me le dire, car le comble du désespoir et de la honte pour moi, ce serait de rester avec toi dans la position où je suis, toi ne m’aimant plus. J’attends cet aveu de ta loyauté.
Juliette
Quoique le papier me manque, mon cœur n’en poursuit pas moins sa route. Il t’aime, il t’adore, il souffre.
BnF, Mss, NAF 16324, f. 258-259
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
Mardi soir [15 septembre 1835], aux Metz, 8 h.
Mon bon chéri, il y a entre nous une méchante vapeur qui nous cache l’un à l’autre ce que nous avons d’amour et de générosité. Moi, je veux être la première à avoir foi en toi malgré toutes les grosses mouzonneries que tu me fais avaler sous prétexte que tu travailles. Je veux te montrer comment on aime, je veux te montrer comment on fait pour l’objet aimé. Si tu trouves que j’ai bien fait, tu m’appliqueras ensuite ma méthode dont je te remercieraia à genoux et dont je te bénirai dans le fond de mon âme. C’est dit, c’est convenu, va, je t’aime quoi que tu fasses.
Depuis que tu es parti, je n’ai fait que penser à toi, je t’ai aimé comme une pauvre fille. J’aurais voulub que tu fusses encore là pour me mettre à tes genoux et te demander pardon des torts que j’avais eus et de ceux que tu avais eus envers moi.
Pour occuper le temps jusqu’à l’heure du dîner, j’ai luc les journaux que tu m’avais donnésd, puis à la brune, j’ai regardé par la fente de ma porte l’Anglaise et sa famille qui se compose de 4 petits garçons dont l’aîné n’a pas plus de 10 ans et de 5 filles dont la plus petite peut avoir 3 ans et l’aînée 16 ou 17. Du reste, aucune espèce d’homme avec elles, rien que des bonnes ou gouvernantes. Je vous donne ces détails, mon petit Toto, pensant qu’ils vous intéresseront plus que moi et je vous souhaite la bonne nuit avec un million de baisers et de caresses du fond de l’âme. À demain, tu verras que nous serons bien heureux.
BnF, Mss, NAF 16324, f. 260-261
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette
a) « remercirai ».
b) « j’aurai voulu ».
c) « j’ai lue ».
d) « donné ».