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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 juin 1842

5 juin [1842], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, bonjour mon Toto chéri, bonjour, je t’aime de toute mon âme. Comment vas-tu, comment va ton petit garçon, mon cher bien-aimé ? Moi, tu sais dans quel état tu m’as quittée cette nuit. Je ne vais guère mieux ce matin. Je souffre toujours beaucoup de la gorge, cependant je n’ai plus mon mal de tête, ce qui est bien quelque chose. Je suis de plus en plus persuadée que, si nous ne faisons pas bien vite notre voyage, je ferai une affreuse maladie. Je le sens et je le sais comme si j’y étais. La crainte juste de ne pas le faire produit ce beau résultat que tu vois, ainsi mon Toto, choisis entre un voyage ravissant et les conversations intéressantes du sieur Triger, entre les notes d’auberges ou les Mémoires d’apothicaires. C’est à toi à décider. Tu as oubliéa ta bourse, mon Toto, si cela ne te gêne pas trop j’en suis bien aise parce que ce ne sera qu’une occasion de revenir plus tôt auprès de moi et je n’en serai pas fâchée, entre nous soit dit. Quand je pense que, pour une pauvre petite fois que tu viens passer une partie de la soirée avec moi, il faut que je sois malade comme une bête et que je ne puisse pas ouvrir les yeux ni dire une seule parole, c’est vraiment par trop guignonnant [1]. Ça m’est égal de souffrir quand tu n’es pas là, mais ça ne m’est pas égal de ne pas profiter du peu de temps que tu me donnes quand il t’arrive de m’en donner comme hier. Je suis vraiment trop malheureuse et tu dois me plaindre.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 111-112
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

a) « oublier »


5 juin [1842], dimanche soir, 6 h.

Certainement, mon Toto, je veux lutter contre la débâcle précoce de mes PAUVRES APPÂTS. J’y userai mon courage, ma force, mes ongles et ma patience avant de succomber. Je veux, si tu cesses de m’aimer, que ce ne soit pas de ma faute d’aucune manière. Je veux mourir à la peine ainsi que doit le faire toute femme qui a mis tout son cœur, toute sa joie, toute sa vie et toute son âme dans son amour comme je l’ai fait. Aussi, mon Toto, j’ai fait venir le merlan [2], pas en chaise de poste, mais à pattes, pour lui demander de nouveaux renseignements qui sont, hélas il faut bien l’avouer, rien moins que bien rassurants, mais dont j’essaierai cependant demain si j’en ai le temps. Par la même occasion je l’ai payé avec l’argent de Suzanne, maintenant je ne dois plus rien à personne qu’à elle, mais aussi je suis sans un sou, voilà l’état de ma caisse, ce qui, par parenthèse, m’est supérieurement égal, pourvu que tu m’aimes. Quand je dis que cela m’est égal, c’est au point de vue de la richesse personnelle car lorsque je pense comment tu gagnes l’argent que tu me donnes, mon pauvre adoré, cela ne m’est pas égal, mon Dieu, et j’en suis triste et malheureuse au fond de l’âme. Oui, mon pauvre bien-aimé, j’ai deux affreux soucis qui me tourmentent jour et nuit : ton travail opiniâtre et la crainte de perdre ton amour. Je donnerais les trois quarts de ma vie pour que tu sois riche et pour que tu m’aimes jusqu’à mon dernier soupir. Si on pouvait faire de pareil marché il y a longtemps qu’il ne serait plus question de moi que dans ton souvenir. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 113-114
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le guignon : la malchance.

[2Merlan (argot) : coiffeur. Depuis quelque temps, Juliette craint de perdre ses cheveux et envisage de mettre une perruque.

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