Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1870 > Août > 13

Guernesey, 13 août, [18]70, samedi matin, 5 h.

Bonjour, mon ineffable, grand et sublimement bon bien aimé, bonjour, sois béni, je t’adore. Je crains que tu ne sois déjà sur piedsa et peut¬-être sans avoir pu dormir, car les petites dents de Petite Jeanne paraissent la tourmenter beaucoup dans ce moment-ci. Pauvre petite, ce n’est pas de sa faute, mais cela s’ajoute fâcheusement à tes travaux et à tes soucis. Il faut espérer que le dénouement de cette lugubre tragédie qui se joue depuis un mois touche à sa fin et qu’il sera moins terrible qu’on le croit [1]. En attendant, je fais force de voile et de rame pour être prête à partir lundi matin [2]. Cependant le temps a l’air de se fâcher. Il est vrai qu’il a assez d’heures devant lui pour se calmer d’ici-là. Tout dort autour de moi, du moins je le crois, à moins que Louis [3] ne soit encore souffrant. L’ennui d’être séparé de sa femme et de ses enfants l’attriste, ce qui se comprend du reste et d’autant plus que nous-mêmes ici nous ne sommes rien moins que folâtres. Enfin on y peutb pas que faire, comme dit le philosophe Peter [4]. À ce propos, je me suis aperçue hier soir que nous avions oublié [le] gribouillis. Je n’en suis pas très fâchée pour ma part parce qu’il est assez maussade. Je vais faire tout mon possible pour que celui-ci, de gribouillis, serve de correctif à l’autre. Pour cela, je me dis à moi-même le fameux mot d’Émile Girardin en 1848 : Confiance ! Confiance ! Confiance [5] ! Espérons que cette exclamation sera plus justifiée pour moi dans l’avenir que la sienne ne l’a été pour lui dans aucun temps. Et pour commencer, je te livre mon âme pieds et poings liés. Je t’aime.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 219
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « pied ».
b) « peu ».

Notes

[1La France a déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet précédent.

[2Juliette et Victor Hugo quittent Guernesey le 15 août 1870 après près de dix-neuf ans d’exil. C’est seulement le 5 septembre suivant, après la défaite de Sedan et la capitulation de Napoléon III, que Victor Hugo, accompagné de ses enfants et de Juliette, rentre en France.

[3(Jean-)Louis Koch, le neveu de Juliette, est arrivé à Guernesey le 10 août suite à l’invitation de sa tante et de Victor Hugo le 27 juillet précédent. Il était invité à passer quelques jours à Guernesey pour se changer les idées : il avait envoyé sa femme et ses enfants à Iéna, chez son beau-père, mais à cause de la guerre déclarée entre la France et la Prusse, il n’a pas pu les rejoindre.

[4Expression de Peter Mauger.

[5Référence au titre de l’article d’Émile de Girardin paru le 25 février 1848 dans le journal La Presse : « Confiance ! Confiance ! ». Au lendemain de la proclamation de la IIe République qui fait suite à la Monarchie de Juillet, le journaliste tente de rassurer la bourgeoisie affolée par la révolution. Il exhorte le peuple à maintenir l’ordre et à reprendre ses activités quotidiennes de plus bel pour relever le pays : « Confiance, confiance ! C’est là ce qui sauvera l’ordre, et par l’ordre se sauveront la liberté, la paix, l’indépendance nationale ! »

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne