Guernesey 11 août [18]70, jeudi matin, 5 h. ½
Cher bien-aimé, mon âme envoie à ton âme le bonheur le plus tendre et le plus religieux. Sois béni dans tes enfants et dans tes chers petits-enfants qui sont aussi les miens par le cœur. J’espère qu’ils n’auront jamais besoin que je le leur prouve mais si cela était je leur donne d’avance tout mon dévouement cœur, corps et âme. À ce sujet je crois utile d’instruire mon neveu [1] aujourd’hui même de ma vraie situation vis-à-vis de ta famille. Le peu que tu lui en as dit hier le prépare suffisamment à cette confidence en supposant qu’il ait eu quelque illusion sur ma position, ce que je ne crois pas. Dès ce matin je lui ferai prendre connaissance de mon testament dont j’ai gardé copie ainsi que de la lettre écrite par moi à ce sujet à ses parents [2]. Je lui ferai part aussi en même temps du don généreux de six mille francs que tu lui destines après ma mort en mémoire de sa pauvre vieille tante. Je ne doute pas qu’il n’approuve tout ce que j’ai fait et qu’il ne soit profondément touché et profondément reconnaissant de la marque d’estime que tu lui donnes au nom de notre sainte et vénérable union sur cette terre. Cela fait, je me sentirai encore plus rassurée si c’est possible sur la responsabilité que j’ai envers la fortune de tes enfants même au-delà de la vie. J’espère encore que les nouvelles de la France aujourd’hui seront moins désespérées que celles d’hier et puis je t’aime à deux genoux.
Collection particulière / Musée des Lettres et Manuscrits (Paris), 62260 0028/0030
Transcription de Gérard Pouchain