Paris, 3 juin [18]72, lundi matin, 8 h.
Bonjour, mon bien-aimé. Si tu es content de ta nuit, je ne suis pas fâchée de la mienne ; s’il en était autrement, je m’en plaindrais deux fois, et pour toi et pour moi. Je me plaindrais aussi pour la pauvre Suzanne qui est sur les dents. La pauvre fille finit par se sentir fatiguée jusqu’à en être malade depuis huit jours et je crains qu’elle ne me demande à se reposer. Je dis que je crains cela parce que je ne saurais par qui la remplacer, d’autant plus que depuis quelque temps elle a mis beaucoup d’eau dans son vin, ce qui comble une grande lacune dans ses mérites et qualités [1]. D’autre part, je suis moi-même bien vieille et bien fatiguée pour recommencer une éducation de domestique. J’aurais plus besoin de repos et d’hôpital que de l’agitation et de la vie du monde. Toutes ces préoccupations me tourmentent à cause de toi, qui t’es contenté jusqu’à présent de mes menus services quelque incomplets qu’ils soient. Je prévois avec chagrin le moment peut-être très prochain où je ne pourrai plus avoir cet honneur ni ce bonheur et où je deviendrai un embarras pour toi-même. Cette pensée me trouble plus que je ne peux dire et je désirerais en causer avec toi une fois pour toutes. En attendant, je t’aime avec tout mon cœur.
BnF, Mss, NAF 16393, f. 154
Transcription de Guy Rosa