Guernesey, 6 mai [18]70, vendredi matin, 6 h.
Bonjour, mon cher bien-aimé, avez-vous passé une bonne nuit, homme chanceux ? Quant à moi, femme pas de chince [1], j’ai dormi comme une soupe depuis le moment où je me suis couchée jusqu’à présent, c’est une compensation que je troquerais volontiers contre de forts bibelots. Enfin il faut bien que je me contente avec le fameux : rien, rien, rien, pas même un service, ni prêté, ni rendu, ni acheté car ce serait une mauvaise dépense que d’acheter celui qui te plaît, de service, paru que cette qualité de porcelaine bâtarde ne résiste pas à l’action des choses bouillantes. Quant à l’autre, service encore, il est incomplet et je doute qu’on trouve à le compléter ; donc je n’en veux pas. Mais à quoi bon te dire toutes ces choses fastidieuses du ménage quand il s’agit de savoir si ton plébiscite [2], le vrai, le grand, le beau, le juste est arrivé à son adresse à temps pour terrasser le faux ? Je donnerais tous les cabinets du Japon et européens pour être sûre que ce chef-d’œuvre politiquement sublime est en ce moment sous les yeux des anti-plébiscitaires. Demain nous en aurons le cœur net mais d’ici-là que d’impatience il faut dévider ! Enfin, c’est toujours là que j’en reviens, je reprends haleine et courage en t’aimant à pleins poumons, à plein cœur et de toute mon âme.
BnF, Mss, NAF 16391, f. 126
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette