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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 mars 1870

Guernesey, 30 mars [18]70, mercredi matin 7 h. ½

Bonjour, bonjour mon cher bien-aimé, vénéré et adoré. Je te demande pardon d’avoir résisté si longtemps à ta raison et à ta justice toujours impartiale et si sublimement généreuse pour tout le monde et surtout pour tes ennemis. Encore une fois pardon, mon cher grand bien-aimé, pour mon entêtement rancunier. J’espère que tes deux braves enfants ne tomberont jamais dans aucun guet-apens impérial et je suis sûre que ton petit-fils sera digne de défendre l’honneur de son grand nom autrement que par les procédés princiers. Cette espérance et cette confiance, je les trouve dans ton pardon toujours plus grand que le crime quel qu’il soit et de quelque part qu’il sorte. Je te dis mal mais je sens bien et je suis sûre que tu comprends mon bégaiement. Je voudrais être sûre que tu as passé une bonne nuit pour m’en réjouir ce matin. En attendant je viens de lire ta seconde lettre si adorablement navrante sur le pauvre couple sublime englouti avec le NORMANDY [1]. Merci pour eux et pour toutes les chères âmes qui te bénissent là-haut pendant que je t’adore ici-bas. Sois béni.

BnF, Mss, NAF 16391, f. 90
Transcription de Jean-Christophe Héricher assisté de Florence Naugrette

a) « guet-à-pens ».

Notes

[1Le Rappel publie le 26 mars 1870 l’extrait d’une lettre de Hugo à Paul Meurice rendant hommage aux naufragés du Normandy (abîmé au large de Guernesey le 19 mars précédent) : « On m’écrit pour me demander quelle impression a produite sur moi la mort de Montalembert. Je réponds : Aucune ; indifférence absolue. – Mais voici qui m’a navré. / Dans le steamer Normandy, sombré en pleine mer il y a quatre jours, il y avait un pauvre charpentier avec sa femme ; des gens d’ici, de la paroisse Saint-Sauveur. Ils revenaient de Londres, où le mari était allé pour une tumeur qu’il avait au bras. Tout à coup dans la nuit noire, le bateau, coupé en deux, s’enfonce. / Il ne restait plus qu’un canot déjà plein de gens qui allaient casser l’amarre et se sauver. Le mari crie : “Attendez-nous, nous allons descendre.” On lui répond du canot : “Il n’y a plus de place que pour une femme. Que votre femme descende.” / “Va, ma femme”, dit le mari. / Et la femme répond : “Nenni. Je n’irai pas. Il n’y a pas de place pour toi. Je mourrons ensemble.” Ce nenni est adorable. Cet héroïsme qui parle patois serre le cœur. Un doux nenni avec un doux sourire devant le tombeau.

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