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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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12 novembre [1836], samedi matin, 11 h. ¼

La crainte de t’avoir déplu cette nuit m’a empêchée de fermer l’œil de la nuit, à 4 h. du matin je n’avais pas encore éteint ma lampe. J’ai essayé en vain de dormir dans la matinée. Impossible. Je me lève donc à peu près comme je me suis couchée, un peu souffrante et fort tourmentée de te savoir mécontent de moi. J’ai tort peut être dans la forme, mais je suis bien sûre d’avoir raison dans le fond, ce qui m’est une mince consolation.
Je vais écrire encore à Mme Krafft ainsi qu’à Mme Pierceau pour les prévenir de ce qui peut arriver, malgré le désir que nous avons de leur faire un plaisir. Tu te souviens peut-être que j’avais invitéa Mme P. à venir ce jour-là avec moi ? Il faut que je la prévienne à tout événement de ne pas compter sur la 1ère représentation.
Je t’aime, mon cher adoré, je suis timide à te le dire, après ce qui s’est passé entre nous cette nuit où j’ai cru voir que tu ne m’aimais plus. Si je me suis trompée aussi douloureusement, c’est que l’illusion était bien GRANDE. Je suis triste, pour ne pas dire rien de plus. Une seule chose pourrait dissiper mon chagrin, ce serait si tu venais déjeuner avec moi, et si tu me montrais ta belle figure bonne et joyeuse, comme autrefois. Si tu ne viens pas, quelque effort que je fasse, je sens bien que je serai très malheureuse et que je t’aimerai toujours autant. C’est-à-dire plus que ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 126-127
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « invitée ».


12 novembre [1836], samedi soir, 5 h.

Je sais que tu dois être bien occupé, et bien harcelé par toutes les affaires que tu as ces jours-ci. Aussi, mon pauvre cher adoré, ce n’est pas un reproche mais un regret que j’exprime. Je ne t’ai pas vu aujourd’hui, ce qui ne m’a pas rendu la gaîté que j’ai perdue depuis deux jours. Je suis fort triste, fort maussade, comme c’est mon habitude. Mais je t’aime de toute mon âme, ce qui est aussi mon habitude.
J’ai reçu une lettre de Saumur [1]. Je ne me suis pas permis de l’ouvrir, mais j’ai osé envoyer une lettre à Mme Krafft et une à Mme Pierceau. J’ai attendu jusqu’à présent pour les envoyer à la poste, mais ne sachant pas à quelle heure je te verrai, je me suis risquée.
J’ai vu les ouvriers toute la journée et les cheminées fument de plus belle comme de juste.
J’ai vu aussi Gérard, la modiste, qui venait, a-t-elle dit, dans le quartier, mais qui venait aussi pour avoir des places pour la fameuse représentation. Tu devines ce que je lui ai répondu.
J’ai une espèce de bobo au doigt que me gêne pour tenir ma plume, tu t’en apercevrasa à l’écriture, je n’avais pas besoin de t’en avertir pour que tu devinasses que je n’avais pas mon beau CORPS d’écriture ordinaire.
Mon cher petit homme chéri, ne me rudoies pas ce soir, toi, si doux ordinairement, cela me fait un mal affreux quand tu sors de ton caractère. Si je ne peux aller à cet opéra [2], je ne t’en voudrai pas, mais [illis.] je serai bien chagrine, je désire que tu ne t’en inquiètes pas autrement. Si par bonheur tu avais réussi, je ne t’en aurai pas plus d’obligations parce que c’est impossible, mais je serai bien contente, et je ferai ma petite tête joyeuse. En attendant je vous baise partout.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 128-129
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « appercevras ».

Notes

[1La fille de Juliette, Claire Pradier, est en pension chez Mlle Watteville à Saumur.

[2La Esmeralda, opéra de Louise Bertin sur un livret de Victor Hugo, sera créé à l’Opéra le 14 novembre 1836.

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