12 octobre 1860

Guernesey, 12 octobre 1860, vendredi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon cher petit homme ; bonjour, comment que ça vous va ce matin par ce beau soleil ? Avez-vous bien dormi nonobstant vos deux tasses de TI ? Quant à moi j’ai mieux dormi que de coutume, ce qui prouve bien mon esprit de contradiction car j’aurais dû, d’après les us et coutume de la tradition hygiénique, ne pas fermer l’œil de la nuit. Du reste vous voyez, MÔSIEUR HUGO, que la contradiction a du bon quelquefois et que le paradoxe de la théière n’est pas si méchant qu’on pense. Il s’agit maintenant de savoir comment vous vous êtes comporté de votre côté vis-à-vis de MORPHÉE. En attendant que vous me donniez de vos nouvelles, je vous gribouille cette folâtre restitus avec le reste de la gaieté d’hier qui dure encore ce matin. J’espère, mon adoré, que tu as bien dormi, que tu m’aimes^a, et que tu es content de notre petite débauche d’eau chaude et de calembredaines d’hier au soir. Je t’écris de mon lit où je reste blottie pour n’avoir pas à allumer mon feu si matin. Dès que j’aurai déjeuné je me lèverai et je ferai tous mes toutounages habituels. Il fait un temps charmant et on ne se douterait pas à le voir si GEAI et si SERIN aujourd’hui de sa fureur et de ses rugissements enragés pendant deux jours entiers. Du reste il ne faut pas trop crier victoire car le ciel est couvert de nuages qui pourraient bien crever avant peu sur la bosse des Guernesiais, des étrangers et AUTRES. En attendant, je profite de ce pauvre petit rayon besogneux et je lui prends sa petite chaleur au risque de lui faire avoir des engelures le long de sa route et je t’aime feu et flamme, cœur et âme : attrapé^b  !

BnF, Mss, NAF 16381, f. 269
Transcription d’Amandine Chambard assistée de Florence Naugrette

a) « m’aime ».
b) « attrappé ».-