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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 octobre [1836], mardi après-midi, 1 h. ½

Mon cher bien aimé, je ne sais pas si c’est l’approche du retour de la campagne qui me cause cette tristesse insurmontable, mais je souffre et je suis découragée à n’en pas reprendre le dessus. Qu’est-ce que je vais devenir, toute seule cet hiver, ne te voyant que de temps en temps ? Je suis capable d’en mourira. Il me faudrait une occupation forcée, un emploi matériel de mon temps et je ne peux pas m’occuper du souci insignifiant de mon intérieur qui ne m’intéresse pas. Il me faut une autre occupation plus impérieuse que celle de mon ménage. Si je pouvais trouver un engagement quelque part je le prendrais n’importe à quelle condition. Ce serait me sauver de mon désœuvrement de corps et de ma préoccupation de cœur et d’esprit qui deviendra une véritable folie si je n’y prends pas garde. Tu ne fais [pas] attention à cela toi, tu as bien autre chose à penser, mais si tu savais ce que je souffre, tu aurais peur pour moi. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16328, f. 28-29
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « mourrrir ».


11 octobre [1836], mardi soir, 5 h. ½

Mon cher bien-aimé, je n’ai rien de moins à vous dire que ce que je vous dis depuis bientôt quatre ans : Je vous aime. À voir l’empressement que j’apporte dans tous mes devoirs d’amour on croirait que je vous aime d’hier. Mais à vous voir si peu empressé auprès de moi on peut croire à coup sûr qu’il y a déjà bien longtemps que vous ne m’aimez plus, je cherche en vain à me le cacher, la triste vérité se montre tous les jours un peu plus. On peut bien mettre sa main sur ses yeux pour ne pas voir, mais on ne peut rien mettre sur le cœur qui souffre en sentant son bonheur s’en aller pour ne plus revenir. Un des malheurs de cette position-là, c’est le besoin de se plaindre et de pleurer et cependant « belles, les amants qu’on rudoie s’en vont ailleurs, on ena prend plus avec la joie qu’avec les pleurs [1] ». Ainsi tirez-vous de là si vous pouvez, les belles et les laides, pour moi j’y renonce. Je pleurerais, je crierais, je braillerais même et je n’en serais que moins aiméeb. C’est une consolation au moins.

J.

BnF, Mss, NAF 16328, f. 30-31
Transcription de Claudia Cardona assistée de Florence Naugrette

a) « n’en ».
b) « aimé ».

Notes

[1Citation du livret de l’opéra Esmeralda, dont Hugo a écrit le livret pour Louise Bertin, et qui sera créé le 14 novembre 1836 à l’Opéra de Paris. Hugo suit les répétitions.

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