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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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21 mai 1868

Guernesey, 21 mai [18]68, jeudi matin, 7 h.

Cher adoré, je t’offre les quelques heures de sommeil et d’apaisementa que j’ai euesb cette nuit comme bouquet de MA fête [1] et je te donne et redonne mon âme pour l’éternité. Je n’ai que cela qui m’appartienne en propre, mais si j’avais la propriété du ciel et de la terre, je te la donnerais comme le reste avec le regret de ne pouvoir te donner plus. C’EST BÊTE COMME TOUT CE QUE JE TE DIS LÀ [2] mais c’est le fond de ma pensée et de mon cœur. J’espérais et j’espère encore une toute petite lettre pour la pauvre vieille sainte Julie qui sans cela sera bien confuse et bien triste aujourd’hui de l’oubli de son cher petit grand saint Victor.
En attendant, la bonne Suzanne et la petite Thérèse [3] se multiplient en empressement, en gaîté et en fleurs autour de moi. On dirait qu’avril et décembre sous leurs traits dansent une farandole en mon honneur en ce moment. Mais rien ne peut donner le change à mon amour et à mon bonheur tant que tu me manquesc.

BnF, Mss, NAF 16389, f. 140
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « d’appaisement ».
b) « j’ai eu ».
c) « tu me manque ».


Guernesey, 21 mai [18]68, jeudi soir, 5 h. ½

Je fais comme l’ours qui lèche sa patte pour tromper sa faim. Moi, c’est ma restitus que je ronge pour me faire prendre patience en attendant ma chère petite lettre adorée qu’il faudra bien enfin que tu me donnes aujourd’hui quand tu devrais l’écrire chez moi. Je crois que je vais mieux mais je n’ose pas le dire trop haut dans la crainte de réveiller la goutte qui dort. J’espère que je ne ferai pas trop laide grimace à mon très beau jeu ce soir, celui où je reprends possession de toi au nom de sainte Julie. J’ai fait à cette occasion demander une bouteille de vin de Médoc chez toi en ton nom, rien que ça ! J’espère que cette indiscrétion rencontrera de l’indulgence chez le bel Alfred Asseline et chez le jeune Marquand. Suzanne s’escrime de son mieux pour faire resplendir son antique et peu solennelle renommée de gargotière éméritea des îles de la Manche. Quant à moi, je ne sais que t’aimer et je charge nos deux chères âmes de là-haut de veiller sur toi et de te bénir au ciel comme je te bénis sur la terre.

BnF, Mss, NAF 16389, f. 141
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « gargottière émérite ».

Notes

[1La Sainte Julie est fêtée le 21 mai.

[2Réplique de Don César à un laquais, acte IV, scène 3 : « C’est bête comme tout ce que je te dis là », extraite de Ruy Blas (1838), drame de Victor Hugo en cinq actes, représenté pour la première fois le 8 novembre 1838 au Théâtre de la Renaissance à Paris.

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