Guernesey, 25 novembre [18]65, samedi, 7 h. ½ du matin
Bonjour, mon doux adoré. Je pourrais presque aussi bien dire bonsoir, tant cet aurore ressemble à un crépuscule. Cependant j’ai pu distinguer que ton signal [1] n’était pas encore à son poste, d’où je conclus, hélas ! que ta nuit a été sans sommeil. Tout cela n’est rien moins que gai et il serait temps et plus que temps que tu rentrassesa dans le rail du sommeil régulier et réparateur [2]. Tant que cela ne sera pas je ne serai pas contente et je ne dormirai moi-même que d’un œil comme cette nuit. Fichez-vous ça dans votre chère petite boule et dormez.
Il y a aujourd’hui un mois que nous quittions Bruxelles [3]. Toi avec le regret d’y laisser ta famille et moi en emportant au fond du cœur le reflet de toutes vos tristesses à chacun de vous, père, mère et fils. Cette impression se réveille chaque fois que je te vois triste et malheureux de l’absence de tous ces chers aimés et je donnerais tout au monde pour que vous fussiez réunis et heureux une bonne fois pour toutes [4]. Il faudra bien que ce moment arrive et je fais des vœux bien sincères pour que ce soit le plus tôt possible. Les packets [5] qui ont passé la nuit dans le port s’en vont dans ce moment-ci chacun de leur côté. Espérons qu’ils arriverontb à leur destination sans trop de peine. Il faudra que tu donnes satisfaction aujourd’hui même à la curiosité bien naturelle et bien légitime de Mme Chenay en me laissant lui lire la lettre de ton Charles [6], soit en présence de Kesler, soit entre nous trois seulement. Tu en décideras ce soir. En attendant je t’aime, je t’aime tout plein mon cœur.
BnF, Mss, NAF 16386, f. 186
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « rentrasse ».
b) « arriverons ».