22 mars [1842], mardi matin, 11 h.
Bonjour mon cher bien aimé de mon cœur. Bonjour mon amour chéri. Comment as-tu passé la nuit ? J’ai bien peur que tu ne te sois couché que ce matin et avec tes pauvres pieds mouillés ; c’est pour te donner une maladie.
Je suis furieuse contre ce stupide bottier qui ne t’apporte pas tes bottes. J’ai très envie d’envoyer les chercher tout à l’heure. Je ne peux pas supporter la pensée de te savoir les pieds dans l’état où tu les avais hier. Mon pauvre adoré, c’est ta santé, et peut-être plus encore, que tu joues sur une paire de bottes percées. Je vais envoyer Suzanne chez le bottier [1]. Comment as-tu passé la nuit malgré ton travail et tes pauvres pieds froids, mon Toto chéri ? Ne vaa pas à l’Académie tantôt avant de venir à la maison, mon amour. Et si tu ne vas pas à l’Académie, viens me voir avant d’aller autre part, ce sera de la tranquillité et de la joie pour toute la journée que tu me donneras.
Je ferai peut-être le fameux essai aujourd’hui, cependant je n’en suis pas sûre à cause du temps grimaud et des diverses expériences que je veux faire auparavant de risquer MA TÊTE [2]. Je voudrais que ce fût fait et bien fait. Je ne suis pas sans inquiétude à ce sujet. Cependant j’essayerai. Je jette ma perruque par-dessus les moulins au petit BONHEUR. Qui [ne] risque rien n’a pas de cheveux vert pomme. Il faut bien risquer quelque chose, moi je risque tout, c’est pas grand-chose. Baisez-moi, ne vous moquez pas de moi et aimez-moi de toutes les couleurs.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 185-186
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « vas ».
22 mars [1842], mardi soir, 9 h.
Je passe sans transition du blanc au noir, du plaisant au sévère et surtout au cuisant. Je ne sais pas si le proverbe : souffrir pour être belle se réalisera pour moi, mais ce qu’il y a de sûr, c’est que j’ai assez et trop et par-dessus la tête de toutes ces tignasseries-là [3]. Ce dont je n’ai pas assez, c’est vous, mon cher petit homme adoré, que je vois à peine cinq minutes par jour et autant par nuit, ce qui me fait l’effet d’un grain de chènevis [4] dans la trompe d’un éléphant affamé. Mais que votre pièce soit finie [5], que je sois remise tout à fait sur mes pattes [6] et vous verrez un peu de quel pied je me mouche. En attendant je bisque et je rage sans murmurer. Sans murmurer. Taisez-vous. Et ne perdez pas mon petit dessin. J’y tiens comme rache [7] et je ne vous pardonnerais pas d’en disposer pour qui ou pour quoi [que] ce soit. Sérieusement, mon amour, je serais très fâchéea et très chagrine si tu perdais ou si tu donnais mon ravissant petit dessin de ce soir ; après ton amour, rien ne m’est plus précieux que ce qui me vient de toi et fait par toi. Baise-moi mon Toto et reviens bien vite auprès de moi.
Claire finitb sa petite maison. Tu pourras l’emporter ce soir à ma Dédé. N’oublie pas que c’est après-demain le 24 [8]. N’oublie pas non plus, si tu veux distraire une minute de ton travail, d’écrire à ton cousin pour ce pauvre Lanvin [9]. Et puis je vous aime, n’oubliez ça non plus maintenant. Si vous vous laissez mouiller les pieds, vous serez le plus bête et le plus coupable des hommes [10]. Je vous attends cette nuit mon amour. Tâchez de venir, je serai bien heureuse.
Juliette
BnF, Mss, NAF 16348, f. 187-188
Transcription de Anne-Estelle Baco assistée de Florence Naugrette
a) « fachée ».
b) « fini »